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Le choix des maux

 

Photo Wikimedia
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Alors que la situation au Nord-Mali devient de plus en plus intenable pour ses habitants et que les pays africains se sont prononcés le week end dernier pour l'envoi de 3300 soldats sur place, interviews croisées d'un partisan et d'un opposant à l'intervention armée.
 
PHILIPPE HUGON. Directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) en charge de l’Afrique, il considère une intervention militaire comme inéluctable mais sous conditions.
Des forces étrangères d'appui et non de substitution
Vous avez qualifiez l’intervention militaire comme inéluctable et risquée. N’est-ce pas antinomique ?
La situation est actuellement en train d’empirer. Il faut choisir entre deux maux : le mal de l’intervention et celui de la non-intervention qui se traduirait par une extension du nombre de jihadistes, de terroristes et de narco-trafiquants dans le nord du Mali avec des effets de contagions sur les pays voisins sans parler des connexions possibles avec l’Europe.

Inéluctable donc, mais avec des conditions ?
Il me semble en effet qu’il y a des conditions à remplir parallèlement et non après sous risque réel d’enlisement du conflit. Il faut tout d’abord une légitimité au pouvoir malien qui se traduise non dans une élection mais dans une unité des forces politiques en place. C’est le préalable à la recomposition de l’armée, une recomposition fondamentale si l’on veut que le Mali participe à l’intervention. Or, les forces militaires étrangères ou occidentales doivent être d’appui et non de substitution.

Vous soulignez aussi la nécessité de s’attaquer aux raisons qui ont conduit nombre de jeunes à se laisser séduire par les mouvements jihadistes ?
C’est fondamental. Certaines veulent donner la priorité à l’intervention militaire, ramener la paix et remettre à plus tard les projets de développement. Je suis totalement opposé à une telle conception. Si on arrive à faire abandonner les armes aux jeunes qui ont rejoint Aqmi sans leur proposer aucune autre perspective, cela conduira à l’échec. Il me semble qu’ici l’Union européenne a une carte à jouer. Elle doit avoir un discours fort sur la priorité à donner au développement. Ces projets sont toujours moins chers que la guerre : un principe élémentaire qu’il faut rappeler. Pour assurer la sécurité il faut, et dès aujourd’hui, relancer les projets agricoles, d’irrigation, de coopération décentralisée… et dès que cela sera possible, les projets touristiques.

Issa N’Diaye, universitaire de Bamako invité pour une conférence à Paris par le PCF, dénonce un risque de remettre en selle les anciens membres du gouvernement dégagés par le pustch, empêchant ainsi le pays de reprendre en main une démocratie confisquée par des corrompus ?
Je ne connais pas cette personne mais les points de vue au Mali sont très divers : les partisans du Premier ministre, du chef d’Etat par intérim, des putchistes, des islamiques… Dans ce paysage très complexes, seules des élections permettraient de savoir qu’elles sont les priorités, or les organiser est impossible à court terme.
En revanche, on sait que dans la majorité des cas, les Maliens sont pour l’intégrité territoriale, qu’ils refusent l’indépendance de l’Azawad, qu’ils n’acceptent pas l’occupation par les gens de Mujao et de l’Aqmi… sur cela il y a consensus même s’il y a les oppositions classiques entre maliens du Nord et du Sud. Sur le reste, l’opposition avec les touaregs, sur la question religieuse… Il y a débat. Si idéalement il faudrait un pouvoir politique légitimé par des élections, à défaut il faudrait au moins pouvoir s’appuyer sur une unité nationale qui me semble possible sur ces questions d’intégrité territoriale et d’exclusion des membres d’Aqmi et de Mujao du nord du Mali.
Il ne faut enfin pas oublier l’Algérie, véritable carte maîtresse qui est contre une intervention extérieure par principe mais qui veut aussi défendre l’intégrité territoriale du Mali avec lequel elle partage 2000 km de frontières qui seraient dès lors menacés.
     

JACQUES FATH. Chargé des relations internationales au PCF, il décrypte « l’illusion dangereuse ».
« La solution est d’abord politique »
Le PCF s’est positionné contre l’intervention militaire. Pourquoi ?
Tout le monde reconnaît que la situation au Mali et dans la région est grave et c’est vrai. L’emprise des groupes islamiques est effectivement intolérable. La question est donc de savoir comment revenir à une situation au moins acceptable, où les groupes armés ne fassent plus la loi. Comment aider les Maliens, y compris au Nord, à retrouver leur intégrité ? Dans ce contexte, nous étions contre l’illusion dangereuse d’une intervention militaire rapide.

Une option qui n’est cependant plus unique ?
La réalité est que les troupes de la Cédéao n’ont pas les moyens d’intervenir, que les forces spéciales sont déjà en place et que les forces aériennes ont déjà été renforcées dans la région. Certains veulent faire comme en Irak ou en Libye, comme si la force était la bonne méthode. Mais il est vrai que certains commencent à dire clairement que l’on va au casse-pipe. Je pense à Ban Ki-Moon de l’ONU ou au président de Mauritanie qui vient de dire qu’une guerre au Mali serait un volcan incandescent.
Ce serait de plus une solution qui prolongerait encore des opérations de type colonialiste où la France domine. Que dire d’autre d’une intervention de la Cédéao dont le président est lui-même un produit d’une intervention militaire française (Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire) ? Enfin, je suis consterné par la façon dont les otages sont traités. Si on veut les sauver ce qui se passe en ce moment est inquiétant.

Vous prônez donc une solution politique ?
Une solution « d’abord » politique. Il faut négocier avec les groupes armés qui accepteront de le faire, ce qui exclut ceux qui adoptent des pratiques terroristes. Cela existe déjà, il faut le continuer. Puis, s’il y a ensuite des interventions militaires, elles doivent être sous responsabilité exclusive des Maliens. Les seules responsabilités de la France et de l’Europe sont d’aider le Mali à reconstruire son état et son administration pour le mettre en capacité d’assurer la sécurité avec une armée digne de ce nom, de maîtriser son propre développement, dans un consensus minimum y compris avec la société civile. Or, aujourd’hui, il n’y a au Mali toujours pas de consensus politique pour approuver cette opération militaire. Le premier travail de la France serait donc d’utiliser sa puissance sur place pour obtenir ce consensus politique.

Quelle doit être la position européenne ?
On peut déjà mesurer la responsabilité de l’Europe dans ce qui arrive en Afrique aujourd’hui. Depuis des années, l’Europe est un partenaire de l’Afrique et ce dans de multiples dimensions. Or, cela n’a aujourd’hui, aucun effet réel. ON s’en rend compte aujourd’hui au Mali avec un Etat qui est quasiment en faillite. Il faut donc se poser des questions de nature politique et se reposer la question du développement dans toutes ses dimensions.
Ceci posé, il est juste de dire que la crise au Mali met en cause les intérêts européens. Il faut donc prendre les problèmes à la racine, s’engager dans un développement économique, rural, de la formation, de l’emploi, la recherche etc. Faire en sorte que ce pays puisse sortir de cette voie où il s’est enfoncé.
 
Entretiens réalisés par Angélique Schaller

Article paru dans La Marseillaise du vendredi 16 novembre 2012

Tag(s) : #Relations internationales
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