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Raymond Aubrac, le ravitailleur d’espoir
23-04-2012 LA MARSEILLAISE

Raymond Aubrac avait été reçu par le préfet de région en novembre 2011 à Marseille. photo PDD
Nommé par le Général De Gaulle, Raymond Aubrac ( 1914-2012) a été commissaire régional de la République à Marseille d'août 1944 à janvier 1945 afin de coordonner la reconstruction. Sortie de la clandestinité, "La Marseillaise" a dès son arrivée suivie son action.
Dimanche 28 janvier 1945, « la Marseillaise », dont les rédacteurs ont troqué l’arme pour le crayon, annonce : « Un grand patriote nous quitte ». Il s’agit d’un départ. Celui de Raymond Aubrac qui depuis août était Commissaire régional de la République à Marseille.
La tâche n’était pas mince pour ce jeune homme qui avait fait ses armes dans la résistance. Retour sur 5 mois de mission.
« la Marseillaise » du 25 août 44 informe : « M.Aubrac (…) a pris possession de ses fonctions ». Il a été reçu la veille en préfecture par le Comité de Libération Nationale. L’édifice fraîchement libéré sent encore la poudre. « Le président, M.Lionel, lui a souhaité la bienvenue au nom du Comité et de l’ensemble des Patriotes et lui a relaté brièvement les événements de ces mémorables journées ». On apprend que « M.Aubrac a dit toute son admiration pour les exploits des Patriotes Marseillais et son désir de rester directement en contact avec eux. Puis (…), il est allé serrer la main aux blessés de la Conception et de l’hôpital Michel Lévy ».

Confiance en la Résistance
 
Raymond Aubrac rencontre des « chefs de la Résistance et des personnalités civiles » et met « immédiatement à l’étude les dispositions à prendre pour assurer dans l’immédiat le ravitaillement de la population ». Une mission de grande ampleur afin que la liesse ne soit pas anéantie par la faim.
29 août 44, les lecteurs mettent un visage sur un nom. Raymond Aubrac est à la Une et assure lors d’un point-presse : « Le ravitaillement sera assuré sous le contrôle des FFI qui seront intégrés dans l’armée française » ; « Les salaires seront prochainement relevés » et « Les hommes de la résistance doivent prendre en main l’administration du Pays ». « Je suis venu ici, appelé par le Comité de Libération (…) et j’ai tenu à rester à Marseille tant que la ville était bombardée, à côté de sa vaillante population ».
Pour le ravitaillement, si « les perspectives d’avenir lointain sont très bonnes », il admet être « obligé d’utiliser des mesures qui ne sont pas aussi normales que je le voudrais. J’ai fait réquisitionner tous les stocks et je veillerai à ce que la répartition soit parfaitement équitable. On ne peut admettre en cette période que certains mangent bien pendant que d’autres sont privés de tout ».
Après avoir appelé les Forces Françaises de l’Intérieur à rejoindre l’armée française, il aborde un sujet délicat : l’épuration. « Je suivrai très largement les avis qui me seront donnés par les Comités départementaux de Libération. Je veillerai à ce que ces mesures atteignent essentiellement les grands coupables. Ce sont les chefs qui seront relevés de leurs fonctions et nous serons beaucoup plus indulgents pour les subordonnés ». Des arrestations ont lieu. Aubrac avertit : « Il faut que les gens arrêtés soient traités de façon à vivre. Je suis allé visiter avant-hier matin les détenus qui étaient à la préfecture et j’ai constaté qu’ils étaient traités correctement ». Le héros de la Résistance veut éviter les abus : « Beaucoup d’arrestations ont été faites sans aucune procédure. Je demande donc aux personnes qui ont procédé aux arrestations de nous faire connaître par quelle autorité elles ont été exécutées et quels en sont les motifs ». Il crée une commission de vérification à la Cour d’Appel d’Aix.
La Libération est effective mais Raymond Aubrac soutient que « le rôle de la Résistance n’est pas terminé ». « Il faut immédiatement que (…) tous les groupements de la résistance nous donnent des hommes de caractère et de compétences pour travailler aux affaires publiques ».
Cette déclaration intervient dans un climat social terrible. Il promet que « les salaires seront adaptés à des conditions normales ». Quant aux pillages, il félicite les FFI qui les contrent. « Les pillards qui nous tomberont sous la main encourront la peine de mort et seront exécutés dans les délais les plus brefs ».

Les réquisitions d’entreprises
 
Sa présence à Marseille est directement liée aux réquisitions d’entreprises pour relancer l’économie. « la Marseillaise » du 30 août relaie son invitation « aux travailleurs marseillais » à « reprendre immédiatement leur activité ».
Le 4 septembre, le journal rapporte ses propos affirmant que « le ravitaillement va s’améliorant chaque jour », « L’épuration continue dans toutes les administrations notamment la police » (35 arrestations, 12 mises à la retraite, 30 suspensions) et « Les trafiquants du marché noir encourront des peines allant de la réclusion aux travaux forcés ». Il passera à la radio Marseille-Provence le soir. « Nous voulons rendre la parole au peuple de France » déclare-t-il tandis que notre édition du 5 réalise un premier portrait de lui : « Un homme nouveau ».
Le 1er octobre 44, sort un bilan de « quatre semaines d’épuration ». Raymond Aubrac annonce des réquisitions : la Société de l’électricité, les ADN, des forges et l’entreprise Gravan. Les difficultés de ravitaillement sont réelles et il demande « la confiance » de la population. « La guerre n’est pas finie. On a trop tendance à l’oublier. La population a trop tendance à considérer que la libération marque la fin de la guerre. Or, il n’en est rien ». Le 14 octobre, on apprend qu’il a fait de cette question le principal objet de sa visite à Paris auprès du Général de Gaulle. Il lance un nouvel appel aux travailleurs marseillais : « Par vos efforts, par votre travail, vous participerez à la libération du territoire et à la victoire des Alliés ».
Le 2 novembre, « la Marseillaise » relate le premier défilé de la Toussaint au cimetière Saint-Pierre où 100.000 personnes rendent hommage aux victimes des nazis. Deux semaines plus tard, une Commission départementale de confiscation des produits illicites est créée. « Seront poursuivies outre les affaires de marché noir, celles ayant traitées avec l’ennemi ».
Coup de gueule relaté le 6 décembre 1944. A la radio, Aubrac « dénonce des procédés de provocation directement inspirés des méthodes de la Gestapo » en référence à des comités d’action distribuant à Digne des tracts anonymes prônant des mesures de « justice » individuelles visant à apeurer la population. « On veut empêcher (…) le fonctionnement des cours de Justice, c’est-à-dire paralyser la répression, pour pouvoir ensuite ameuter la population contre le Gouvernement ».
Le 29 décembre 44, on apprend qu’il est allé rendre hommage aux travailleurs de l’usine Coder, dans le quartier marseillais de Saint-Marcel.
Le 11 janvier 1945, on publie un compte-rendu de réunion avec le Comité régional de Libération présidé par Jean Cristofol, futur maire (PCF) de Marseille. Le 15, il envoie le colonel Bouton à Paris « pour exposer la situation alarmante du ravitaillement de la région marseillaise ». « Un ravitaillement plus rationnel est nécessaire ». Jusque-là : « aucune pomme de terre, pas de viande, pas de poisson ». Le 17, il va aux Trois-Lucs et à Saint-Rémy de Provence pour appuyer l’activité des centres scolaires « pour les enfants frappés par la guerre ».
Dans l’article « Un résistant authentique » (25 janvier) on lit que « contrairement à ce qui avait été annoncé primitivement M.Raymond Aubrac (…) n’est pas mis en disponibilité de ses fonctions mais mis en expectative ». L’annonce de son départ sera publiée dans l’édition des 28 et 29 janvier 1945. Il dresse un « bilan constructif de ses réalisations » (817 jugements, 509 peines d’indignité nationale, 18 entreprises réquisitionnées, cité de réfugiés à Toulon, centres scolaires…).
La question du ravitaillement n’est pas réglée. Notre journal parle de « multiples et vaines démarches auprès de M.Ramadier », ministre du Ravitaillement. Aubrac sera plus diplomate. « Par ironie du sort, la situation depuis mon départ s’est légèrement améliorée. Je souhaite que cette amélioration s’accentue ».
Il quitte Marseille non sans avoir transmis « mes remerciements et mon souvenir aux camarades de la Résistance et à la population ».
Propos : Sébastien Madau
Photos: Patrick di Domineco

Pages réalisées avec l’aide de Madeleine Etmezguine du service des archives de la Marseillaise
Tag(s) : #Histoire
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