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Le point de rupture de l’école républicaine
Un phénomène connu, des causes identifiées : le décrochage scolaire a suscité de nombreuses contributions durant le débat sur la refondation de l’école. (illustration Migué Mariotti)
Un phénomène connu, des causes identifiées : le décrochage scolaire a suscité de nombreuses contributions durant le débat sur la refondation de l’école. (illustration Migué Mariotti)
Obligatoire jusqu’à 16 ans mais excluant dès 6 ans. Visant la réussite de tous, mais virant ceux en difficulté. Le décrochage ou un système devenu schizophrène. Analyse.
Les décrocheurs, des jeunes quittant le système scolaire sans diplôme ni qualification : un sujet qui concentre les clichés, les tabous et les leurres politiques. Les clichés car on les présente facilement sous le triptyque « élève perturbateur / futur délinquant / famille défaillante ». Les tabous parce que l’on évite souvent d’aborder l’incapacité de l’école à réduire les inégalités sociales ou sa capacité à produire des voies de garage sans oublier sa difficulté à intéresser l’élève. Des leurres, enfin, parce que c’est en 2005 que l’on a mentionné pour la première 150 000 décrocheurs, à grand renfort de cris et d’émotion. Et depuis ? Une loi, trois décrets, cinq circulaires… On a produit des normes mais dans les faits les programmes de réussite éducative (PRE) lancés en 2005 n’ont jamais eu les 411 millions d’euros de budget annuel promis (la barre des 100 millions a tout juste été atteinte), une mission a été créée pour repérer mais aucun moyen n’a été mis en place pour proposer des solutions, les Réseaux d’Aide Spécialisés aux Elèves en Difficulté (RASED) ont été quasiment supprimés, on a poussé loin la logique de culpabilisation des familles (loi Ciotti pour supprimer les allocations en cas d’absentéisme) et on a favorisé la mise en concurrence via des évaluations.

Le nouveau gouvernement a donc décidé de prendre le taureau par les cornes en annonçant un objectif : réduire de moitié le nombre de décrocheurs durant la mandature. Le sujet figure en bonne place de la concertation pour la refondation de l’école. La discussion dispose d’une feuille de route bien cadrée : les causes sont connues, ciblons donc sur les outils à mettre en place pour lutter efficacement. Avec comme fil rouge : « comment redonner à ces jeunes le goût de l’école ».
Le phénomène est effectivement bien connu. Le décrochage touche particulièrement les jeunes issus de milieux économiques défavorisés non parce qu’ils sont moins capables mais parce qu’ils cumulent les difficultés, ainsi que des groupes dits vulnérables : jeunes provenant de l’assistance publique, souffrant de handicaps physiques ou mentaux, issus de l’immigration avec un pic pour les populations roms. Idem pour les causes, elles sont bien identifiées. C’est un processus long qui intervient souvent dès le primaire, qui est lié au sentiment d’être « enfermé » dans des choix d’orientation subis et irréversibles mais aussi liés au recours excessif au redoublement ou à l’exclusion des cours.
"Accrocher" avant de lutter contre le décrochage

Dans les différentes contributions au débat, associations comme syndicats enseignants mettent le doigt sur des sujets qui fâchent. Ainsi la DEI, association de Défense des Enfants International qui souligne l’importance « d’accrocher » tout le monde avant de lutter contre le décrochage. Et d’interroger : « Pourquoi tant d’enfants roms n’ont-ils toujours pas accès à l’éducation ? Pourquoi les associations doivent-elles se battre pendant plusieurs mois pour obtenir que les enfants de parents étrangers soient inscrits dans l’école de la commune où ils résident ? Pourquoi tant d’enfants en situation de handicap n’ont-ils toujours pas accès à une scolarité normale ? » Des questions pertinentes aux vues de l’état des lieux précédents.
Des associations qui soulignent aussi la nécessité de coltiner à plusieurs à cette question que l’on ne peut laisser aux seuls enseignants, tant la problématique déborde les murs de l’établissement scolaire. Et l’association pour favoriser l’égalité des chances à l’école (Apfee) de mentionner le concept de co-éducation et d’en appeler à la mobilisation des collectivités locales comme du tissu associatif. Côté syndicats enseignants, les propos montrent, tous, la volonté et la capacité à travailler dans la souplesse et dans le cousu main. Ateliers, passerelles, expérimentations, dialogue, actions pluridisciplinaires sont des formules qui reviennent. Mais tout cela est forcément lié aux moyens et aux conditions de travail. Le sujet ne peut en effet être déconnecté des autres thématiques : effectif, formation des enseignants, moyens mis en place pour permettre les expérimentations… Car ce sont ces éléments qui ont fait du système scolaire français ce qu’il est : « excellent pour les bons élèves, impitoyable pour les autres » selon la formule de la CFDT. Ce qui est bien loin des objectifs d’une école que l’on veut républicaine.
Dans notre société empreinte de libéralisme, le sujet n’a pas échappé au prisme de l’efficacité économique. Le coût du décrochage - dans les dispositifs mis en œuvre pour rattraper les élèves ou dans les prestations sociales qui leur seront données ensuite pour survivre - est désormais mis en avant ; tout comme le fait que l’abandon scolaire a des effets négatifs sur la croissance économique, celle-ci reposant sur une main d’œuvre qualifiée. Ce qui ne doit cependant pas faire oublier l’ambition de former des citoyens responsables et autonomes.
Angélique Schaller

Article paru dans La Marseillaise du mercredi 5 décembre 2012


Tag(s) : #Education
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