Médias : En « direct live » des banlieues

Comment faire son travail de journaliste en banlieue ? Sans tomber dans la caricature, ni relayer le discours sécuritaire du gouvernement ? Au lendemain de l’opération de police à Villiers-le-Bel, la question du traitement médiatique des banlieues est à nouveau posée (voir en pages Événement).

Certains n’ont pas attendu ce grand raout médiatique pour y réfléchir. Ainsi, l’association Journalisme et Citoyenneté propose l’expérimentation d’une « nouvelle forme de journalisme participatif ». L’objectif de cette opération, baptisée « Vu des quartiers », est toujours le même : sortir des clichés et rétablir le dialogue entre médias et banlieues. Comment ? En organisant des tandems entre journalistes et habitants des quartiers populaires, chargés de réaliser des articles de proximité à l’occasion des élections municipales. Les reportages (qui peuvent varier les supports : texte, images, son ou photos) sont ensuite mis en ligne sur un site participatif (1). Tout l’intérêt de l’opération (fondée sur le volontariat) est de laisser la mainmise de la ligne éditoriale au « citoyen reporter », sans pour autant évincer le journaliste qui doit mettre son savoir-faire au service de l’habitant. « L’ambition est de démontrer que le journalisme est un métier dont on se passe difficilement, précise Jérôme Bouvier, président de l’association, également à l’initiative des Premières Assises du journalisme à Lille. L’important est d’amorcer un dialogue : la majorité des médias ont une méconnaissance de ces quartiers. Ils ne se déplacent que lors des phénomènes de crise. Et la défiance vis-à-vis des journalistes est encore plus forte chez ces habitants. » L’opération suffira-t-elle à les réconcilier ? Pour l’instant, elle se heurte à deux écueils : la difficulté d’informer les habitants des quartiers populaires de l’existence de cette opération et l’orgueil des médias. « Certains considèrent la publication d’un tel reportage comme la reconnaissance d’une déficience », soupire Jérôme Bouvier.

Pourtant, l’enjeu est de taille : « Le traitement médiatique de ces questions a une incidence sur l’opinion ! » assène le sociologue Vincent Tiberj, qui précise qu’après les émeutes à Clichy-sous-Bois, en novembre 2005, la xénophobie avait augmenté de 18 %. « Les médias analysent le phénomène des banlieues uniquement par le prisme religieux et migratoire, ajoute le chercheur du Cevipof (Centre de

recherches politiques de Sciences-Po). Or, la réalité n’est pas toujours celle que reproduisent les médias. Il faut travailler sur le décalage des regards, faire entrer d’autres points de vue, d’autres visions de la réalité. »

Outre les reportages, le site se veut un relais d’information des banlieues avec des liens vers les sites internet, une carte des quartiers vus du ciel, les dernières vidéos, etc. À l’heure actuelle, treize tandems travaillent à la réalisation de reportages. Des journalistes de France 3, l’Étudiant, Astrapi, Télérama, France Culture, RFI, France Inter, Aligre FM et une trentaine d’habitants ont d’ores et déjà accepté de prendre, tout simplement, le temps de la rencontre.

(1) http://vudesquartiers.journalisme.com/

Marie Barbier