Comment serrer les boulons d’une machine dont les rouages deviennent inaccessibles, tant elle vibre ? Cette tâche aux allures de mission impossible est celle imposée aux grands mécanos du Conseil européen réunis à partir de ce soir à Bruxelles. Ébranlée par les menaces avérées de faillite grecque, toute la zone euro tremble en effet sur ses bases. L’inquiétude s’accroît quant à la possibilité d’une transmission du « défaut grec» au Portugal, à l’Irlande, à l’Espagne, voire à l’Italie et à la Belgique. D’autant que le remède déjà utilisé, le superplan d’austérité infligé au peuple grec, il y a dix-huit mois, constitue un échec retentissant (voir notre édition du 17 juin).
Pour « sauver » Athènes, il faudrait remettre une centaine de milliards d’euros au pot des «aides» accordées avec le FMI, élargir la capacité du Fonds européen de stabilisation financière (FESF) à au moins 700 milliards d’euros, et transformer cette structure qui avait été instituée de façon provisoire jusqu’en 2013, en un mécanisme européen de stabilité (MES) à caractère permanent. Avec la création du pacte euro plus, adopté en mars, lors du précédent Conseil, nos grands mécanos espèrent aussi se prémunir, à l’avenir, de nouveaux «déficits excessifs» en plaçant sous surveillance les budgets européens. Entendez : en instaurant un régime européen d’austérité obligatoire.
Mais rien n’y fait, les boulons mis en place sautent de nouveau à peine serrés. Au point que la pérennité même de la zone euro, dans sa dimension actuelle, ne paraît plus du tout assurée. En France, les avis d’experts concluant à l’impossibilité pour Athènes d’échapper à la faillite se multiplient. Le magazine allemand Der Spiegel enterre à la une «le vieil euro». Une démarche qui révèle l’ampleur prise outre-Rhin par un débat aux relents nationalistes, qui se traduit par la montée d’un rejet dans l’opinion de l’idée que l’Allemagne, déjà principal bailleur de fonds du FESF, puisse être sollicitée davantage. Il n’empêche : toutes ces interventions sont aussi le symptôme de la maturité extrême atteinte par une crise de dimension systémique.
Car les raisons des difficultés sont à chercher dans ce qui fait l’euro lui-même. Toute la construction, de Maastricht au traité de Lisbonne, a placé la monnaie unique sous la double domination des marchés financiers et du capital allemand. Alors que l’euro fut présenté, lors de son lancement, comme le moyen «d’harmoniser le développement » de toute la zone, on est confronté aujourd’hui à une forte aggravation des déséquilibres européens. Et ceux-là minent la monnaie unique. La Grèce, le Portugal, l’Irlande ou l’Espagne étaient censés rattraper leur retard sur les pays du cœur de la zone, en particuliers sur l’Allemagne. Et c’est l’inverse que l’on observe (voir nos infographies). Depuis 2005, les écarts n’ont cessé de s’accentuer. Les groupes germaniques affichent des excédents record (115,7 milliards d’euros en 2009 sur l’ensemble de la zone euro). Résultat : la base industrielle de ces pays dits périphériques a été balayée, et ils ont été enjoints de «se spécialiser» sur quelques secteurs rentables financièrement (tourisme, services ou immobilier outre-Pyrénées). Avec les conséquences dramatiques que l’on observe aujourd’hui…
Besoin de vraies alternatives
La maturité atteinte par la crise fait surgir comme jamais le besoin de vraies alternatives. Des changements de logique, comme la monétisation de la dette publique, considérés jadis comme totalement tabous commencent à être revendiqués par certains experts, relevait le Monde Économie du 21 juin. La proposition de recourir à la création monétaire pour s’extraire peu à peu de la férule des marchés financiers, de longue date avancée par les économistes communistes en France, prend ainsi un relief tout particulier. D’autant qu’en Allemagne même, le très puissant syndicat DGB avance, depuis l’an dernier, une proposition analogue via la création d’une banque publique européenne. Le temps des révisions coperniciennes est venu, si l’on veut empêcher la zone euro d’exploser en vol, et celui du développement, enfin, d’une Union monétaire solidaire à laquelle aspirent tous ceux qui luttent en Europe contre le poison de l’austérité.
ONU : Non à l’austérité..
. Dans son rapport annuel mondial, publié hier, le département des Affaires économiques et sociales de l’ONU dénonce «les mesures d’austérité prises par certains pays comme la Grèce et l’Espagne face à un endettement public excessif (qui) non seulement menacent l’emploi dans le secteur public et les dépenses sociales» mais risquent «d’interrompre le redressement de leur économie». Le document souligne que «de nombreux pays en développement» sont aussi concernés. Les gouvernements doivent tenir «compte des conséquences sociales probables de leurs politiques économiques», insiste l’ONU.