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Au moment où plus d’un milliard de personnes souffrent de la faim, on trouve des centaines de milliards de fonds publics pour alimenter les banques et soutenir les actionnaires des
grandes entreprises.
La planète ayant dépassé pour la première fois de son histoire le seuil du milliard d'êtres humains
souffrant de la faim, la FAO a organisé un sommet cette semaine dans l'espoir que les gouvernants du monde s'engagent à faire passer de 5% à 17% la part de leur aide publique au
développement consacrée à l'agriculture. Las, les dirigeants du G8 (sauf M.Berlusconi, dont le pays accueillait le sommet et qui ainsi échappait du même coup à la justice) ont
boudé le rendez-vous.
Pour le Directeur général de la FAO, Jacques Diouf, "la crise silencieuse de la faim - qui touche un sixième de l'humanité - représente une grave menace pour la paix et la
sécurité mondiales".
Dès l'ouverture du sommet, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a énoncé une série de chiffres dramatiques: "aujourd'hui, plus de 17.000 enfants vont
mourir de faim. Un toutes les cinq secondes. Six millions par an. Ceci n'est pas acceptable. Nous devons agir"."Il nous faut effectuer des changements significatifs pour pouvoir
nous nourrir et en particulier pour protéger les plus pauvres et les plus vulnérables", a expliqué Ban Ki-moon, en soulignant que pour nourrir plus de 9 milliards d'humains - en
2050 - il faudra accroître la production alimentaire de 70%.
D’une année à l’autre, les mêmes constats et objectifs jamais atteints se répètent. "A chaque sommet, nous repartons le ventre plein de belles promesses", a
fait remarquer le président malien Amadou Toumani Touré.
En 1974, la conférence sur l’alimentation, affirmait déjà «le droit inaliénable à être libéré de la faim». L’an dernier encore, peu après les émeutes de la faim qui avaient
éclaté dans 38 pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, 42 chefs d’Etat et de gouvernement se fixaient pour ambition de «réduire de moitié le nombre de personnes souffrant
de la malnutrition d’ici à 2015». Le nombre des sous-alimentés a depuis augmenté de près de 200 millions d’individus. Quant aux engagements, ils sont loin d’avoir été tenus. Au
début de l’été, 10% seulement de l’aide promise avaient été versés.
Un enjeu de
civilisation
Avant même les émeutes de 2008, 900 millions de personnes souffraient de la faim, à cause des
politiques menées ces dernières décennies sous la houlette du FMI et de l’OMC: l'intervention des Etats dans la régulation des prix a été réduite, les producteurs les plus
importants ont été aidés à développer des filières d'exportation et les petits fermiers s'en sont retrouvés marginalisés, ce qui a conduit à un exode rural massif.
Depuis juin 2008, les prix agricoles ont fortement baissé sur les marchés internationaux. Mais sur les marchés locaux des pays en développement, ils restent bien plus élevés
qu'il y a deux ou trois ans.
Seulement 8 milliards de dollars sont investis actuellement dans l’agriculture, alors qu’il en faudrait 44 pour accroître la production agricole de 70% et pouvoir nourrir plus
de 9 milliards d’habitants d’ici 2050.
La crise aggrave la
situation
Chaque jour, la crise financière qui s’installe déstabilise progressivement toute l’économie
mondiale. Les matières premières comme le pétrole, les métaux ou les céréales font, désormais, figure de valeurs refuge. Aujourd’hui, la flambée des prix alimentaires, notamment
des produits de base, est une réalité qui touche, à des degrés divers, le pouvoir d’achat des catégories sociales connaissant les plus grandes difficultés, mais aussi de
multiples régions du Monde. Elle a des conséquences plus dramatiques encore dans les pays pauvres où la population consacre la part essentielle de son budget à la
nourriture.
Un contexte
explosif
Selon la banque mondiale, des troubles politiques et sociaux sont à craindre dans 33 États. Le riz,
considéré comme aliment de base dans de nombreux pays émergents, a vu ces derniers mois son prix augmenter de 50% en Côte d’Ivoire, de 50% en Centrafrique et a même atteint une
hausse de 300% en Sierra Léone !La farine de blé et de maïs, l’huile de palme et d’arachide, le sucre ou le lait, ne sont pas épargnés par cette hausse des prix. L’urgence a
déjà poussé de nombreux pays tels que le Cameroun, le Sénégal ou le Burkina Faso à suspendre ou à diminuer les droits de douanes sur certains produits. L’Asie est également
touché de plein fouet, comme l’Amérique Latine.
Enfin comment ne pas souligner l’impact du climat dans cette situation. Avec une sécheresse qui a réduit de 20 % les récoltes cet été en Inde, la sécheresse
récurrente en Amérique centrale…les projections pour 2020 sont très inquiétantes. "Il ne peut y avoir de sécurité alimentaire sans sécurité climatique", a aussi déclaré Ban
Ki-moon à Rome. "Le mois prochain à Copenhague, il nous faudra trouver un accord global permettant de jeter les bases d'un traité sur les changements climatiques qui soit
contraignant au regard de la loi".
Cette situation pose en grand l’impérieuse nécessité de faire de la souveraineté et de la sécurité alimentaire un enjeu universel de civilisation. Un défi
majeur pour assurer la survie de l’humanité. Un défi qui passe par la remise en cause des logiques libérales de l’OMC, du FMI et de la Banque Mondiale.
Décryptage
Rolland Martinez
Photo Stéphane Clad
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