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Iran

« Le régime islamique iranien a fait son temps »

Entretien avec le cinéaste d’origine kurde, Bahman Ghobadi, auteur des Chats persans, portrait d’une jeunesse iranienne. Il réagit à l’actualité de son pays.


Le cinéaste Bahman Ghobadi a fait partie de la mouvance du nouveau cinéma iranien dont les œuvres ont créé une forme de néoréalisme à la persane. Il a quitté l’Iran l’année dernière à la libération de sa compagne, la journaliste irano-américaine Roxanna Saberi, emprisonnée durant des semaines à Téhéran. Son dernier film, les Chats persans, réalisé « presque clandestinement » et présenté à Cannes, vient de sortir la semaine dernière à Paris. Il y fait le portrait d’une jeunesse iranienne à travers un groupe de musique pop, fasciné par l’Occident.


Votre dernier film nous montre une jeunesse persane très occidentalisée, rêvant d’Europe, de musique pop et de libertés. Croyez-vous qu’ils puissent représenter la jeunesse iranienne d’aujourd’hui ?

Bahman Ghobadi. Ils font partie intégrante de cette jeunesse et représentent une partie importante des jeunes Iraniens d’aujourd’hui. Je ne crois d’ailleurs pas qu’ils copient simplement une image purement occidentale. Ils s’identifient à ce modèle que vous appelez occidental. C’est aussi le leur. On m’a dit qu’il y avait plus de 2 000 groupes de musique pop en Iran pas seulement à Téhéran, la capitale, mais aussi dans ma province d’origine, le Kurdistan, et ailleurs… Le véritable problème, c’est qu’ils sont continuellement forcés de se cacher, d’avoir peur… C’est cela qu’ils récusent aujourd’hui.


Est-ce cette jeunesse-là qui est aujourd’hui dans la rue pour manifester et s’opposer au régime islamique ? Qui sont-ils ceux qui manifestent depuis six mois ?

Bahman Ghobadi. La population iranienne est très jeune : la jeunesse constitue près de 70 % des 75 millions d’Iraniens. Et ils en ont assez. Assez de l’oppression culturelle, sociale et politique que le régime islamique impose, et leur impose, depuis trente ans. Auparavant, isolés, beaucoup se lassaient, arrêtaient de se battre pour gagner des bribes de liberté et se réfugiaient souvent dans la drogue et d’autres formes de fuite. Aujourd’hui, c’est cela qui a changé. Le pouvoir n’arrive plus à pratiquer aussi facilement sa censure : avec Internet, les moyens de télécommunications modernes mais aussi avec l’amélioration du niveau d’éducation, elle s’est effritée et les jeunes Iraniens ont eu accès au monde. Ils ont une vision des libertés, de la démocratie et une envie d’ouverture que le régime n’arrive visiblement plus à supprimer ou à contenir.
Le système islamique est un régime de violence, d’intimidation et de censure. Après des années de peur et de fuite, après des années à se cacher, la jeunesse crie aujourd’hui son ras-le-bol. Elle dit que cela suffit et qu’il faut que les choses changent. Au lieu de la théocratie, de la corruption et du gaspillage des ressources du pays, elle réclame la démocratie, les libertés, la justice sociale et le développement. De fait, ce sont clairement les jeunes qui mènent ce mouvement de protestation depuis des mois et qui entraînent les générations plus âgées. Je le dis sans aucune honte : c’est moi et les personnes de mon âge (y compris les dirigeants de l’opposition), qui suivent la jeunesse et non l’inverse. Et cette jeunesse n’est pas seulement celle issue de la bourgeoisie ou des universités de la capitale. Ces revendications sont reprises partout à travers le pays. C’est d’ailleurs ce qui me donne de l’espoir. Et me fait penser que ce mouvement ne va pas s’essouffler malgré la violence de plus en plus marquée de la réaction du régime islamique.


Vous ne croyez donc pas que les manifestants en Iran qui réclamaient de nouvelles élections présidentielles exigence officiellement à l’origine des protestations s’en contenteront désormais ? Que veulent-ils alors ?

Bahman Ghobadi. Juste après l’élection d’Ahmadinejad, au tout début de la montée de la protestation, le régime iranien aurait peut-être réussi à manipuler l’opinion et à calmer le jeu en satisfaisant une partie des demandes légitimes de la population. En organisant, par exemple, de nouvelles élections… Á son habitude, il a choisi l’usage de la force et l’oppression. Lors des dernières élections, les Iraniens ont d’abord crié leur envie d’être entendus pour des réformes. Je ne crois plus que cela puisse suffire désormais. Tout en modifiant la donne politique du pays, les courageux manifestants de ces derniers mois ont aussi changé eux-mêmes. Ils ne se satisferont pas du retour à un statu quo antérieur légèrement amélioré ou de mesures cosmétiques. Ils réclament fermement leurs droits à la liberté, à la démocratie et à l’ouverture sociale et politique. Et quoi qu’il puisse arriver dans les semaines et mois à venir, je crois que le régime islamique a déjà perdu la partie.


Á vous entendre, les événements et la confrontation peuvent donc prendre une tournure encore plus violente ces prochains temps ?

Bahman Ghobadi. Le pouvoir islamique pourrait se maintenir et durer encore un peu mais cela ne peut se faire que par la force et en recourant à davantage de violence encore. Il n’a plus de légitimité. On peut tenter d’écraser pour un temps cette contestation fondamentale et ses aspirations mais je sais maintenant que les choses ne peuvent que changer. Cela arrivera dans quelques mois ou dans quelques années mais c’est inéluctable… Ce régime a fait son temps.


Entretien réalisé par Fati Daria


http://www.humanite.fr/Le-regime-islamique-a-fait-son-temps
Tag(s) : #Monde
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