Bus de la solidarité avec les avocats de rue
Créé à l’initiative du barreau de Paris et de l’association Droits d’urgence, le Bus de la solidarité offre, depuis plusieurs années, des consultations juridiques gratuites dans la capitale. Reportage.
Quatre fauteuils de bus autour d’une table, isolés par un rideau rouge. Elle reçoit habillée en jean, « de la façon la plus informelle possible », pour rompre avec la solennité
parfois impressionnante de la justice. « Là, c’est moi qui vais à la rencontre des gens, pas l’inverse », explique Madeleine Gougeon. Avocate dans un cabinet du 9e arrondissement de
Paris, elle participe aux permanences bénévoles du Bus de la solidarité organisées par le barreau de Paris et l’association Droits d’urgence. Quatre fois par semaine, le bus se poste à un
endroit différent de la capitale, si possible loin des commissariats, des préfectures ou des mairies pour ne pas rebuter les étrangers en situation irrégulière, et propose aux habitants, toutes
catégories sociales confondues, des consultations juridiques anonymes et gratuites.
Essayer de bien orienter
Arrêté de reconduite à la frontière, obligation de quitter le territoire, avis d’huissier, lettre de licenciement en main… 3 303 personnes ont été reçues l’année dernière par les avocats
bénévoles. « Avec la crise, nous avons observé un boom des fréquentations en 2009, avec toujours une grosse proportion des consultations en droit des étrangers et une forte augmentation en
droit du travail », détaille Yann Tanguy, responsable de l’opération pour l’association Droits d’urgence.
Ce soir-là, le bus est posté non loin du lycée Balzac à la porte de Clichy (17e arrondissement). De temps en temps, un passant s’arrête, explique brièvement le motif de sa venue, puis grimpe à l’arrière du bus attendre qu’une consultation se libère. Parmi eux, Hicham, né marocain, arrivé en France à quatorze ans. Jamais régularisé, il est parti vivre en Italie où il a obtenu des papiers et donc une autorisation de travailler. Jusqu’au tremblement de terre de L’Aquila où il vivait. « J’ai tout perdu, je suis revenu vivre avec mon père en région parisienne, mais mes papiers italiens ne me donnent pas le droit de travailler ici, c’est absurde ! » Hicham a un employeur prêt à l’embaucher, mais rebuté par une paperasse kafkaïenne. « Je suis allé voir un premier avocat, il m’a dit que ma situation était insoluble à 80 %, alors mon père m’a conseillé de venir ici. »
Souvent, la mission première des avocats du Bus consiste à fixer des repères ou à orienter vers des services
adéquats. « Nous accomplissons un gros travail d’écoute, de transcription des termes juridiques dans le langage courant, nous aidons à rédiger un courrier, à décrypter une lettre, à
rédiger une demande d’aide juridictionnelle, nous apportons quelques pistes : notre rôle n’est pas de fournir une solution à tout en un quart d’heure », expliquent deux avocats d’un
gros cabinet d’affaires venus eux aussi apporter leur contribution. Aujourd’hui, le droit est extrêmement complexe, avec de plus en plus de lois et d’exceptions. « Comprendre les termes
juridiques nécessite souvent une formation, précisent-ils. Nous-mêmes n’avons pas réponse à tout, autant dire que les gens sont perdus. »
Décrypter le jargon
Yann Tanguy confirme : « La plupart du temps, ils ne connaissent simplement pas leurs droits. Pourtant, il me semble important qu’un sans-papiers puisse savoir s’il a une possibilité
ou non d’être régularisé. » Il constate également que, malheureusement, les personnes surendettées ou exposées à une expulsion locative tardent trop souvent à venir consulter. Pour Me
Madeleine Gougeon, le bus permet de pallier en partie les problèmes de fonctionnement d’une justice souvent inaccessible. Pour elle, il faudrait un accueil dans les tribunaux qui permette de
décrypter le jargon juridique. « Le langage est la première barrière dans l’accès au droit, détaille-t-elle. Allez expliquer la différence entre une “notification’’ et une
‘‘signification’’, ou encore, ce que c’est qu’une ‘‘grosse’’ qui est la décision de justice qui permet son exécution… Tout le monde est perdu. Et dans le bus, nous recevons aussi bien des
sans-papiers que des cadres qui n’y comprennent rien non plus. »
Anne Roy