Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

« Je n’ai jamais renoncé à un emploi à l’année »

 

 

 

Article paru dans La marseillaise du vendredi 3 décembre 2010

 

 

Le tourisme engrange 145 milliards d’euros de chiffres d’affaire par an. Pour tourner, la machine a besoin de personnel de plus en plus qualifié, flexible, sachant s’adapter… Sans pour autant lui accorder des conditions de travail comme de vie, décente. photo R TERZIAN
Le tourisme engrange 145 milliards d’euros de chiffres d’affaire par an. Pour tourner, la machine a besoin de personnel de plus en plus qualifié, flexible, sachant s’adapter… Sans pour autant lui accorder des conditions de travail comme de vie, décente. photo R TERZIAN

Des problèmes pour se loger, un budget transport insupportable, le poste santé relégué… Les conditions de vie des salariés saisonniers relèvent de la survie. Et tout çà pour 1000 euros mensuels pendant 8 mois.

 

 

« Je suis tombée par hasard dans le bain du tourisme. J’ai opté un jour pour une solution « transitoire » dans les Alpes auprès de tours operators britanniques. Je n’ai jamais plus quitté les Alpes, ni le tourisme, le terrain, la générosité, les valeurs humaines… Comme beaucoup j’ai bougé pendant plusieurs années avant de m’établir dans le seul endroit où j’ai jamais envisagé de fonder un foyer : le Briançonnais. Chez nous, la règle, c’est la saison, le Smic, les boulots d’exécutants mais je n’ai jamais renoncé à un emploi à l’année où je pourrais me réaliser. Mais les emplois intéressants sont rares. Le développement économique n’est pas à la mesure des compétences disponibles localement. Je me bats depuis trois ans au cours desquels je n’ai cessé de baisser mes prétentions pour réussir à me stabiliser professionnellement ». Corinne à 38 ans. C’est une des signataires pour la tenue du 1er forum social des travailleurs saisonniers qui se déroule aujourd’hui à Aubagne. Plusieurs centaines de saisonniers y sont attendus. Une poignée sera présente à la tribune pour participer aux débats et aux ateliers, mais tous pourront prendre la parole dans le public, pour témoigner de leurs conditions de vie et de travail mais aussi pour faire des propositions. « Si nous voulons écrire une nouvelle page de l’histoire du salariat, c’est bien qu’il y ait des spécialistes mais on ne peut pas le faire sans les salariés » commente le coordinateur Richard de Thyre, « c’est d’ailleurs une tendance de notre société que de vouloir se regarder sans que ses travailleurs, son prolétariat y soit associé ».

Logement, transport, santé : le triptyque infernal


Témoigner sur les conditions de vie, c’est raconter dans le détail ce que signifie devoir trouver un logement pour travailler une saison dans une zone touristique. « Ce sont des lieux sous spéculation immobilière où le loyer peut représenter les 2/3 du salaire » note Geneviève Douillot, permanente à la Jeunesse Ouvrière chrétienne (JOC) en s’appuyant sur les enquêtes réalisées tous les deux ans. Dès lors, c’est le système D. : hébergement chez des amis quand c’est possible mais aussi colocation – qui ne va pas sans difficulté quand les horaires ne sont pas synchro – ou camping quand ce n’est pas la voiture ou le camping sauvage. « Un autre problème est lié : celui du transport. Pour trouver des loyers abordables, les saisonniers s’éloignent de la zone touristique » souligne encore la jeune fille, avant de développer « pour décrocher un emploi, il faut donc un permis, de plus en plus coûteux et difficile à décrocher, avoir de quoi se payer une voiture et ajouter les frais de carburants. A la fin du mois, il ne reste plus grand chose ».
La fatigue des trajets est un facteur aggravant le constat déjà alarmant sur la santé des saisonniers. « Non respect des repos, heures sup à gogo, port de charge, des journées à rallonge… multiplient les risques. D’autant que la médecine du travail ne fonctionne pas correctement et que, par peur de s’absenter, d’être en arrêt, de perdre son emploi ou une partie de son salaire, les saisonniers attendent souvent la dernière limite pour consulter » développe Karine Delpas, coordinatrice du forum.
Des initiatives positives – des « bonnes pratiques » pour reprendre la formule consacrée, existent. Des employeurs qui s’occupent du logement de leur salarié, d’autres qui prennent en charge le coût du transport… « Mais cela reste anecdotique et surtout rien n’est obligatoire et donc lié au bon vouloir des employeurs et des pouvoirs publics » apprécie Karine Delpas. « Or, nous estimons que ceux qui bénéficient de l’apport du travail saisonnier – le tourisme c’est 145 milliards de chiffre d’affaire par an – doivent se poser ces questions du logement, du transport et de la santé et celles-ci doivent être complètement intégrées à la définition d’un nouveau statut du saisonnier ».

"Ce contrat, je ne l’ai pas choisi et encore moins inventé"


« Je suis saisonnier. Pas par choix mais par obligation. Pour manger et nourrir ma famille, pour vivre au chaud… Mais ce contrat je ne l’ai pas choisi et encore moins inventé ». Quand Frédéric prend la parole, il permet aux saisonniers de rétablir le curseur quant aux représentations que l’on a à leur sujet. « Nos représentations datent des années 70. On en est resté globalement aux Bronzés font du ski. Or, cela a considérablement changé » analyse Richard de Thyre.
Récemment, le secteur a obtenu la mise en place d’un Observatoire de la saisonnalité. « Malheureusement, une étude a été commandée à une association qui s’est contentée d’une enquête en ligne et anonyme. Ses résultats sont totalement farfelus affirmant que 8 saisonniers sur 10 choisissent ce statut » déplore le sociologue qui a engagé une polémique pour rendre publics les chiffres obtenus dans les enquêtes réalisées pour le forum. « on a réalisé 125 entretiens d’une demi-heure, c’est une autre méthode ! Et 86% des gens interrogés affirment ne pas avoir choisi ce statut, mais le subir. Quant aux 14% restants, leurs propos montrent qu’ils ont intégré et accepté la précarité de notre société ».


Reportage Angélique Schaller
Photo : Robert Terzian

Tag(s) : #Société
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :