Nasser Mansouri-Guilani « Derrière la dette, les mauvais choix de politiques économiques des États »
Humanité Quotidien
9 Août, 2011
crise financière
Nasser Mansouri-Guilani, économiste de la CGT, s’insurge contre la domination des marchés qui provoque la hausse du chômage et nuit à la
croissance.
Quelle conséquence aura la dégradation de la note américaine en Europe et en France ?
Nasser Mansouri-Guilani. Sans dédouaner les États et leur responsabilité dans cette crise, peut-on faire confiance aux agences de notation, en
l’occurrence Standard & Poor’s, au regard de leurs erreurs du passé ? Peut-être y a-t-il derrière cette annonce une opération qui vise à envenimer la panique pour renforcer la
position des marchés financiers. En montrant que même la première économie mondiale risque la faillite, ces agences, qui travaillent pour les spéculateurs et les financiers, veulent
obliger les gouvernements à respecter ou à mettre en place les programmes d’austérité et à préparer les esprits à la fatalité et aux sacrifices au nom de la stabilité.
La dette est-elle devenue ingérable ?
Nasser Mansouri-Guilani. Les dettes américaine et européenne ont fortement augmenté après la crise de 2008, en liaison avec les plans de sauvetage
des banques et du système financier. Les mauvais choix des politiques économiques ont conduit à déséquilibrer encore plus les finances publiques. En France, la poursuite de la réduction
des prélèvements sur le capital et le maintien des niches fiscales et sociales ont amené le gouvernement à résoudre l’équation en diminuant les dépenses publiques utiles ou les salaires
des fonctionnaires. Le cas grec est pourtant très éclairant. Le plan d’austérité a réduit le taux d’activité économique du pays. La dette a augmenté le bonheur des marchés
financiers, détenteurs des dettes souveraines, qui ont pu développer la spéculation sur le marché obligataire. L’approche libérale conçoit par définition l’endettement public comme
mauvais. Mais la dette peut aussi être liée aux investissements qui permettent de créer des richesses bien supérieures au coût de l’endettement sur le long terme. Tout dépend donc de la
nature de l’endettement. Il ne faut pas oublier que plus l’endettement est élevé, plus les charges d’intérêt le sont aussi. Il faut donc bien distinguer le bon et le mauvais
endettement.
Qu’entendez-vous par « bon » endettement public ?
Nasser-Mansouri-Guilani. L’exemple le plus classique est celui des infrastructures. Pour les construire, nous pouvons emprunter, mais alors il s’agit
d’un investissement qui permet de créer plus d’emplois, d’augmenter le revenu national. Cette hausse du revenu national va permettre d’engranger plus d’impôts et de dégager des ressources
supplémentaires qui permettront de rembourser la dette tout en renforçant le potentiel productif du pays. Autre exemple, l’un des atouts de la France réside dans sa main-d’œuvre
qualifiée. Le choix de diminuer les dépenses dans l’éducation nationale affaiblit le potentiel productif du pays à moyen et long terme. Le vrai enjeu consiste à être au rendez-vous du
déficit sans l’être au détriment des salariés, des populations et du potentiel productif du pays. Il est nécessaire de créer les conditions pour que l’économie soit plus prospère par la
hausse des salaires, par l’emploi qualifié et stable, etc. Il faut aussi augmenter l’impôt des plus riches, sur le capital, taxer les transactions financières. Il faut enfin supprimer les
niches sociales et fiscales inutiles.
Ce risque de domination
des marchés financiers encore
plus forte ne demande-t-il pas
des actions soutenues des salariés, en France et en
Europe ?
Nasser Mansouri-Guilani. Les peuples sont opposés à ces programmes d’austérité, d’ailleurs le mouvement des Indignés en Europe en témoigne. Mais il
ne suffit pas de s’indigner, il faut être porteur d’un changement, d’un projet alternatif. La CGT et plus globalement les syndicats doivent profiter de ces conditions pour inverser le
rapport de forces et le rendre plus favorable aux travailleurs, dans l’espace européen, voire au-delà. Les organisations syndicales travaillent autour de toutes ces exigences : hausse des
salaires, emplois qualifiés et stables, promotion des investissements productifs, ou encore taxe sur les transactions financières. Il y a également nécessité à sortir de ces schémas de
concurrence et de compétitivité et à aller vers plus de solidarité. À l’inverse de ce fonds de stabilité financière qui ne répond qu’aux attentes des marchés financiers, il faudrait un
véritable fonds de solidarité avec un autre contenu permettant un développement humain durable. Il y a encore besoin de débats afin de mobiliser les salariés autour de ces exigences.
C’est à quoi travaille la CGT pour organiser une journée de mobilisation à la rentrée.