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Politique / Social - Économie - Article paru le 31 août 2009 dans l'Humanité


Le travail dans tous ses états !

Emploi des diplômés : le bug de l’an 2009 !

L’enquête. Dans l’informatique, la rentrée s’annonce terrible pour les jeunes ingénieurs : recrutement en berne chez les prestataires ou précarité chez les utilisateurs telles les banques.

Tous les indices sont là, ou presque. Le crime contre la jeunesse est loin d’être parfait : il va finir par se voir comme le nez au milieu de la figure grimaçante de la crise. À la sortie des écoles des ingénieurs, souvent considérées comme la voie royale vers les emplois hautement qualifiés et bien rémunérés, les jeunes diplômés en 2009 vont tomber sur un os… Et ça risque de faire très mal ! Depuis des années, les sociétés de services et d’ingénierie en informatique (SSII) sont, de très loin, leur principal débouché : un ingénieur sur cinq trouve traditionnellement son premier emploi chez ces prestataires ultraspécialisés et sous-traitants des grandes boîtes, à l’issue de sa formation. Mais cette année, il y a du changement à tous les étages dans le secteur : gel des embauches, licenciements pendant les périodes d’essai, explosion des stages, précarité sur toute la ligne et, pour les rares embauches, réduction drastique des salaires… Début mai, à la faveur d’un forum de l’Association nationale des DRH dans un salon chic de l’hôtel Lutetia à Paris, Martin Hirsch, haut-commissaire à la jeunesse, livre, dans l’indifférence générale, un sombre scoop : « J’ai été chez Syntec Informatique [la fédération patronale à laquelle adhèrent les SSII - NDLR], explique-t-il selon des propos rapportés par Marianne2.fr. Habituellement, ils embauchent chaque année 8 000 diplômés sur les 24 000 qui sortent avec un diplôme d’informatique et, en 2009, ils m’ont dit qu’ils n’en prendraient aucun ! » Quelques jours plus tard, dans le Monde informatique, l’organisation patronale confirme platement, pointant le « ralentissement économique » et la « diminution du turnover », très élevé dans le secteur (un record absolu avec 15 % en moyenne) : « Cette année, il y aura très peu de recrutements et ils seront restreints à des postes très ciblés. » À l’Agence pour l’emploi des cadres (APEC), les statistiques enregistrent une diminution de moitié du nombre d’offres d’emploi émises par les SSII, par rapport à l’année dernière : - 50 % dans l’informatique de gestion et - 46 % dans les systèmes et réseaux…

Alors que les directions s’échinent à afficher leur « responsabilité sociale » dans la crise, quelques coups de sonde permettent de mesurer l’étendue du désastre en gestation. En se félicitant, début juin, dans le Figaro, de diriger « l’une des entreprises qui recrute le plus d’ingénieurs en France », Thierry Breton, ex-ministre de l’Économie et, depuis l’hiver dernier, président-directeur général d’Atos Origin, annonce sans rire « un plan massif pour l’emploi des jeunes » : certes, corrige-t-il tout de suite, son entreprise réduit par trois ses prétentions en matière de recrutement, mais il tient tout de même à s’engager sur 700 embauches (dont un tiers de jeunes diplômés) en France pour l’année 2009, 800 stagiaires et 200 contrats aidés d’apprentissage… Sur fond non pas de « crise » mais bien d’« amélioration de la marge de rentabilité » exigée par les fonds d’investissement requins entrés massivement dans le capital du fleuron des SSII françaises, le décalage est criant sur le terrain. Pour Claude Lévy, secrétaire de la CGT d’Atos Origine Intégration, filiale qui emploie 6 700 salariés en France, « les perspectives d’embauche dans l’entreprise sont assez sombres dans la réalité » : « Nous constatons sur le premier trimestre moins de 100 embauches en CDI, à comparer avec plus de 400 recrutements sur la même période en 2008. »

Même scénario chez Accenture Technology Solutions (ATS), autre acteur important du secteur, où la CFDT dénonce, dans ses tracts, une « gestion de la crise » fondée exclusivement sur la contraction des effectifs : très peu de recrutements qui viennent compenser les départs, explosion du taux de rupture des contrats de travail pendant la période d’essai (passé, selon le syndicat, de 8 à 40 %), incitations fortes, et parfois violentes, au départ « à l’amiable », recours aux « stagiaires comme CDI déguisés »… Diplômée d’une école d’ingénieurs et militante à Génération précaire, Mélanie (1) a été recrutée chez ATS, quelques mois avant l’inversion de tendance. « L’année dernière, la boîte a massivement recruté en profitant au passage de fonds publics de formation, confie-t-elle. Mais en quelques semaines, tout a basculé et elle a mis dehors tous les jeunes qui étaient en période d’essai. » Mélanie a, elle, été embauchée, mais à une qualification très en deçà de son diplôme d’ingénieur. « Je sors d’une école d’ingénieurs, à bac +5, et mon poste officiel équivaut à un diplôme d’IUT, à bac +2, poursuit-elle. Au début, je croyais que c’était moi qui avais été trop molle pendant la négociation du contrat de travail, mais je me suis aperçue qu’on était beaucoup à être sous-payés par rapport à nos diplômes… Là, début septembre, les promotions vont tomber et je suis déjà sûre de rester à ce sous-statut. Chez les clients, on me vend comme analyste, mais chez Accenture, je suis payée comme simple développeuse. Ça fait une grosse différence : c’est tout un système avec des petites mains vraiment pas chères. »

Dans ce contexte de recrutement en berne dans les SSII, les jeunes ingénieurs diplômés vont sans doute tenter leur chance dans les grandes entreprises utilisatrices qui, pour les fonctions encore internalisées, privilégient d’habitude les informaticiens plus expérimentés. Dans le secteur des banques, qui utilisent 20 % des prestations d’ingénierie informatique mises sur le marché, une innovation contractuelle risque de bouleverser le paysage dès la rentrée : fin mai, le patronat a, non sans opportunisme et avec l’accord de quatre syndicats (CFDT, FO, CGC, CFTC), obtenu le droit d’embaucher les informaticiens en « contrat à durée déterminée à objet défini » (CDD-OD), une nouvelle forme de contrat précaire réservée aux cadres et ingénieurs pour une durée comprise entre dix-huit et trente-six mois. Vieille revendication patronale, insérée dans l’accord national sur la « modernisation du marché du travail » en janvier 2008, mais restée lettre morte jusqu’à cet accord de branche dans les banques, ce « contrat de mission » risque surtout de permettre aux utilisateurs de mettre en concurrence leurs salariés flexibles et dociles avec les prestataires venus des SSII. « Avec le marché du travail très tendu dans les SSII, on sent bien que les banques ont envie d’en profiter pour augmenter la flexibilité et tirer les salaires vers le bas, s’insurge Fabrice Hallais, animateur du collectif jeunes diplômés de l’UGICT-CGT et secrétaire des cadres CGT chez BNP-Paribas. Les jeunes qui ne trouveront pas de boulot dans la prestation de services informatiques peuvent venir taper à la porte des gros clients que sont les banques, mais là, ils subiront de plein fouet la précarité, avec ces nouveaux CDD spécial cadres… »

(1) Le prénom a été modifié.

Thomas Lemahieu

Repères :

- Selon l’Agence pour l’emploi des cadres (APEC), le nombre d’offres d’emploi pour cadres informaticiens a baissé, entre 2008 et 2009, de 44 % sur les premiers mois de l’année.

Ce secteur demeure, malgré tout, le plus gros pourvoyeur d’offres d’emploi pour les cadres, avec 29 % du total des offres à l’APEC.

- D’après le Munci, une association professionnelle rassemblant des informaticiens, les salaires à l’embauche ont cette année baissé de 5 % à 10 %.

Voir nos pages thématique : Le travail dans tous ses états

Tag(s) : #Economie
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