« La crise, je la vois beaucoup dans les médias mais je ne la vis pas pour l’instant », confie
Abdellatif Hellal. « C’est dur bien sûr mais pas plus qu’avant ».
Avec un boulot mais pas assez stable, récemment licencié, usé par les emplois aidés ou baladé
par des formations dans des secteurs soit disant porteurs… Paroles de jeunes sur l’emploi et la crise.
« Bonjour. Je vais vous présenter Khadidja, une mère de trois enfants aujourd’hui commerciale. C’est
une personne dynamique et très forte qui voudrait aujourd’hui évoluer professionnellement pour avoir plus de contacts humains ».
La voix est un peu hésitante. Devant une caméra, la jeune femme participe à un atelier organisé par Hassen Salé et son association Chants libres, financé par la Maison de
l’Emploi. Dans les locaux de l’Acadel, dans le 15e arrondissement, il dispose d’une journée pour former à l’expression orale une vingtaine de jeunes qui vont participer à un
petit déjeuner d’entreprise organisé par Action emploi dans les quartiers (Apeq) pour des recrutements à la SNCF. « Calmez vous et surtout ne soyez pas trop durs avec
vous-mêmes. Nous avons le temps, vous allez répéter et à la fin vous y arriverez » apaise Hassen.
Depuis 1999, l’Apeq tente de nouvelles expériences pour rapprocher les jeunes des quartiers et le monde de l’entreprise. Celles-ci sont de plus en plus nombreuses à participer à
ces manifestations. « Pour certains nous ne sommes encore qu’un outil de présélection supplémentaire et gratuit, pour d’autres en revanche, nous sommes devenus de véritables
partenaires » expose Ali Amouche, directeur de la structure. « Pour l’heure, nous continuons à travailler. Malgré la crise, les entreprises continuent à fonctionner et ont
besoin de recruter ». Un propos confirmé par les actions récentes avec le BTP ou Vediorbis, celle imminente avec la SNCF et d’autres programmées pour début 2009 avec des centres
d’appels ou des agences d’intérim… Et le jeune homme d’affiner son propos : « Et même si, un temps, elle ne recrute pas, nous devons persister à travailler ensemble pour
consolider cette nouvelle culture économique que nous mettons en place dans les quartiers » avant de synthétiser : « en fait, quand c’est nécessaire, les entreprises et les
demandeurs d’emploi doivent patienter ensemble… Même si dans ces situations, il est plus facile pour les entreprises de trouver de quoi manger ».
« La crise, je ne la vis pas.
Bien sûr, c’est dur, mais pas plus qu’avant »
Une belle allure, une attitude posée, la voix calme, Abdellatif Hellal patiente
dans les couloirs en attendant une simulation d'entretien organisée par la mission politique de la ville du Comité départemental olympique et sportif, toujours dans l’optique de
la session de recrutement orchestrée par l’Apeq. « J’écoute beaucoup la radio, je lis les journaux. La crise, je la vois beaucoup dans les médias, mais je ne la vis pas pour
l’instant. Quand je fais mes courses, les prix sont bien trop élevés c’est donc difficile, mais pas plus qu’avant. En fait, le moment crucial a été le passage à l’euro alors que
justement à l’époque, les médias disaient qu’il ne se passerait rien. Mais j’ai depuis des difficultés financières qui n’ont pas particulièrement augmenté ces derniers temps. Je
dirais même que ce n’est qu’avec cette crise qu’on a vu le pétrole baisser et moi, voir le prix de l’essence passer de 1.50 euros à 1.01, ce qui me va plutôt bien ».
Issu d’une famille de quatre enfants, Abdellatif est issu d’une famille d’une famille modeste. « Mon père était ouvrier et ma mère travaillant dans une usine
de blanchisserie. Malgré tout, ils ont toujours mis les moyens pour que nous réussissions. Leurs seules exigences étaient nos études ».
L’une est devenue professeur des écoles, un autre a fait de la comptabilité gestion, un troisième est électro-technicien… Quant à Abdellatif, il a enchaîné un
Bac de comptabilité, une année de droit et le service militaire. A son retour, après une pause dans le milieu de la sécurité, il enchaîne les boulots dans le milieu associatif
jusqu’à son dernier poste au centre social de la Savine où il est responsable du secteur jeune. « Un boulot où je me sens vraiment utile. Mais ma situation a changé, je suis
désormais père de deux enfants et j’aspire à plus de stabilité et une meilleure qualité de vie » plaide-t-il pour expliquer ses nouvelles prospections.
« Cette crise ne concerne pas le public avec lequel nous travaillons car il vivait déjà très difficilement et n’a pas forcément quelque chose à perdre » confirme Ali Amouche de
l’Apeq, « En revanche, elle touche la catégorie juste au-dessus qui ressent cette fragilité que vivent les allocataires du RMI ou les demandeurs d’emploi. Même les entreprises
découvrent la peur qui constitue le quotidien des gens les plus éloignés de l’emploi. Cela va peut-être permettre de faire évoluer les représentations souvent négatives que l’on
avait sur les chômeurs ou les RMIstes ».
« Aujourd’hui, c’est vraiment difficile de n’avoir ne serait-ce qu’une
réponse »
« La crise est pour moi, très concrète » assène Myriam Barolin. Cette jeune femme de 29 ans a connu
plusieurs emploi depuis son BTS assistante de gestion. Dernier emploi en date, assistante chargée de la prospection dans un cabinet de recrutement pour le BTP. « A partir de
mai, j’ai commencé à avoir des difficultés. D’abord les chantiers étaient repoussés puis les entreprises ont gelé les recrutements et, pour finir, on ne me répondait plus au
téléphone et je ne pouvais plus décrocher aucun rendez-vous. En juillet j’avais compris que c’était fini ».
Effectivement, le 12 novembre dernier, Myriam est licenciée économique. Pourtant, la souriante jeune fille refuse d’être « trop inquiète. Il me faut changer
de secteur. Dans le service ou internet, cela se passe bien ».
« J’ai
choisi un secteur pour ses débouchés. Maintenant que j’ai mon BTS, il est devenu complètement bouché et la crise est là ».
Moins d’optimisme en revanche chez Yasmine, 30 ans. Dans sa poche pourtant, un BEP secrétariat, un bac pro dans le
même secteur et un BTS d’assistante de direction et une expérience de cinq ans dans une association de musique, jusqu’en 2007 car « l’emploi aidé n’a pas été pérennisé ».
Côté statut donc, la jeune femme n’a connu que ces contrats logiquement temporaires. « Je sais tout sur les anciennes formules qui ont évolué en CAE de 30
heures puis de 20 heures, prévus sur 2 ans, puis 1 an et enfin 6 mois » ironise-t-elle avant de poursuivre plus sérieusement. « Quand je vois cela, forcément, ca me fait peur.
On m’a proposé un CAE mais à 30 ans, qu’est-ce que je peux faire avec un contrat de 20 heures ? Alors, je cherche partout, mais j’ai vraiment l’impression que les emplois sont
de plus en plus rares. Aujourd’hui, c’est vraiment difficile de n’avoir ne serait-ce qu’une réponse. Quant à l’entretien… »
Schili Kaiss a fait le choix de la filière STI, un bac puis un BTS. « J’ai choisi ce secteur car on m’avait dit qu’il y avait beaucoup de débouchés. Dès le
collège, les professeurs de technique ou de math nous poussaient à y aller ». A 22 ans à peine, Schili Kaiss doit pourtant parler au passé. « En fait, cela a été très vite
difficile. Trouver un stage en entreprise a été compliqué puis la boite qui m’a pris a fait faillite. En fait, le secteur est désormais bouché et la crise est là ». Au mot
avenir, il répond « difficile. Ce qui ne l’empêche pas de déposer des CV partout et de fréquenter assidûment l’ANPE et la Mission Locale. « Parfois, on a des réponses, mais là,
ce sont les dates de recrutement qui ne cessent d’être repoussées. Forcément, cela fragilise et on se dit que si l’on trouve un emploi, on ne le lâchera pas ».
Les opérations de recrutement de la SNCF font naître beaucoup d’espoir, « c’est une grande entreprise ce qui donne une garantie de stabilité et de sécurité ».
Et le jeune homme de conclure : « j’ai peur que la situation empire. J’ai l’impression que la crise va toucher les classes moyennes ». Les classes moyennes ? « Ceux qui ont un
foyer et mangent à leur faim ». n
Reportage
Angélique Schaller
Photos : Laurent Saccomano
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