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International - Article paru le 2 juillet 2008 dans l'Humanité

enquête

Côte d’Ivoire, une paix à petits pas

Six ans après une tentative de coup d’État qui a scindé le pays en deux, la paix est de nouveau d’actualité. Maintes fois reportées, des élections sont prévues le 30 novembre. Mais la question de l’identité ivoirienne, au coeur du conflit, peine à se régler. Au nord, fief de la rébellion, et chez les milices du Grand Ouest, le désarmement n’a pas eu lieu.

Côte d’Ivoire, envoyé spécial.

Kalachnikov à l’épaule et treillis impeccable, les hommes s’enfoncent dans la brousse à l’arrière de gros pick-up. La piste, défoncée par les pluies et les camions chargés de marchandises, oblige le convoi à quelque lenteur. Dans le véhicule de tête, la radio « envoie » en sourdine du « coupé-décalé ». Ambiance détendue, quoique chacun garde une main sur son arme. Une journée comme une autre pour les hommes de la brigade mixte de Bangolo, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. À près d’une heure de piste de la base, on se montre dans les villages et on s’enquiert de la sécurité des populations, victimes faciles des « coupeurs de route », ces « bandits » lourdement armés qui pillent, violent et parfois tuent dans cette région montagneuse, vaste et difficilement praticable. On ne saura pas combien de militaires quadrillent la zone. « Secret défense », sécurité oblige.

« Si nous sommes attaqués parfois ? Bien sûr. Cette région est riche en cacao et en café. Les braqueurs viennent se servir », lâche l’adjudant Victor Gbahore. Le sous-officier a perdu un homme, il y a deux semaines, dans un affrontement avec ces bandes armées. « Quand on les surprend, ils n’hésitent pas, ils sortent leur kalach et nous canardent », confie un militaire, à l’écart de son supérieur. Prudent, l’adjudant poursuit, loin des oreilles des villageois : « Mais maintenant, tout va bien, la sécurité est de mise dans la région. » Le discours officiel. Comme un leitmotiv.

D’Abidjan, la capitale économique du pays, dans le sud, à Korhogo, au nord, les responsables politiques et militaires le répètent à l’envi depuis des mois : la Côte d’Ivoire a vaincu ses démons. Le pays est en paix et des élections, sans cesse reportées, auront lieu le 30 novembre 2008. De fait, le pays a changé depuis le coup d’État manqué du 19 septembre 2002. Jusqu’à poser un couvercle pudique sur les maux de la société ivoirienne…

À l’époque, deux ans après un scrutin présidentiel dont avait été écarté l’un des principaux candidats sur fond d’« ivoirité », une tentative de prise du pouvoir par les armes avait débouché sur une scission du pays en deux : au nord, les rebelles, au sud, les forces restées fidèles au président Laurent Gbagbo, nouvellement élu. Au coeur du conflit, la question de l’identité ivoirienne. En déclin économique, le poumon de l’Afrique de l’Ouest, destination privilégiée des migrants de la sous-région, se cherche alors un bouc émissaire. Ce sera l’« étranger ». Près d’un quart de la population porte des papiers burkinabés, maliens et autres… Les Ivoiriens dont les noms sonnent d’« ailleurs » du fait de leur parenté n’échappent pas à la stigmatisation. Surtout au nord. L’élection de 2000, qualifiée de « calamiteuse » par son vainqueur, Laurent Gbagbo, qui a pourtant su surfer sur la crise, n’a rien réglé. En mars 2007, l’accord de Ouagadougou, signé dans la capitale du Burkina Faso, débouche sur un tandem improbable : Laurent Gbagbo, dont le mandat a pris fin depuis deux ans, dirige le pays aux côtés de son nouveau premier ministre, Guillaume Soro, leader de l’ex-rébellion, désormais regroupée au sein des Forces nouvelles (FN). Depuis, les deux camps ne cessent de s’afficher en chantres de la paix et de la réconciliation. Non sans raison. Des « audiences foraines », première étape du recensement des populations privées de papiers pendant le conflit, ont eu lieu sur tout le territoire, permettant d’identifier près de 500 000 « sans-papiers ». Des armes - pas toutes, loin s’en faut - ont été symboliquement brûlées, fin juillet 2007, à Bouaké, fief des ex-rebelles, en présence de tous les dirigeants

politiques du pays. Et la zone de confiance, dans laquelle patrouillaient les soldats français de la force Licorne d’est en ouest du pays, a disparu. On circule désormais librement du sud au nord, le long d’axes routiers émaillés de barrages où les camions continuent de subir les « tracasseries » des hommes en armes. Les banques rouvrent peu à peu des agences au Nord, les préfets redécouvrent leur circonscription. L’État a même remboursé une partie de sa dette à la Banque mondiale et les Nations unies (8 000 personnes) ont baissé leur niveau de sécurité d’un cran, en avril dernier. L’opération armée française « Licorne », commence aussi à réduire la voilure. Un vent de normalité souffle sur la Côte d’Ivoire.

« Le problème ivoirien a été réglé. Même les étrangers sont revenus », assène le « général » Maho Glofiéi, dans son QG de Guiglo, à une centaine de kilomètres de la frontière libérienne. L’homme, qui a troqué le treillis pour sa tenue traditionnelle, dirige toujours le Front de résistance du Grand Ouest (FRGO), un regroupement de milices qui, à l’époque, avaient pris fait et cause pour Laurent Gbagbo. Et affronté, l’arme au poing, les rebelles venus du Nord. Aujourd’hui, le « général », qui règne sur les chefs traditionnels de la région, salue à tour de phrases la « main tendue » de Laurent Gbagbo à ses anciens ennemis et son premier ministre, Guillaume Soro, « un homme correct ». C’est dit, « la guerre est finie ». Pour preuve, ses hommes ont repris le chemin des villages sans leur arme. Pourtant, l’opération de désarmement financée par les bailleurs de fonds internationaux ne prend en compte que 2 000 miliciens sur 10 800. Dont la moitié n’a pas reçu les 499 500 CFA (760 euros) de « filet de sécurité » en échange de leur arme. Forcément, « les jeunes sont réticents », finit par admettre l’ancien chef de guerre. Et puis, « nous avons défendu les institutions. On ne peut pas intégrer ceux qui les ont combattus (les ex-rebelles) et nous oublier ». Une mise en garde ? Simple rappel, « le FRGO existe toujours ».

Reste que, si les combats ont cessé, les armes de guerre circulent dans l’ouest du pays. Devant sa baraque d’un village à l’écart du « goudron », Colette Olassé raconte à voix basse comment des « hommes avec des kalachnikovs » ont pénétré chez elle, une nuit. « Ils voulaient du Koutoukou (une boisson alcoolisée), mais ils ont sorti leurs armes et ils ont pris mon argent. » Montant du butin : 45 000 CFA. Moins de 70 euros. Aux abords du village, Gilbert longe un champ de cacao laissé à l’abandon. « Les braqueurs arrivent par ce chemin, la nuit. Avec l’insécurité, on ne peut plus entretenir les plantations, donc on ne vend quasiment rien. » Qui sont ces braqueurs ? D’anciens combattants désoeuvrés ou des jeunes grisés de gagner plus d’argent sur les routes qu’avec un emploi journalier ? « Ce ne sont pas forcément d’anciens combattants », assure Ernest Dao, président de la Jeunesse communale de Bangolo. « Mais on les connaît. Vous savez, dans la région, beaucoup d’armes ont circulé avec la guerre. Mais on va dire quoi à ces jeunes pour qu’ils arrêtent ? Ils gagnent beaucoup d’argent en braquant ! Et puis, témoigner, ça veut dire donner son nom. Les gens ont peur. » Aux dangers de la guerre a succédé l’insécurité du non-droit. Résultat, poursuit Ernest Dao, ancien libraire, « la dernière fois que quelqu’un est venu pour installer une usine, il a eu peur et il est parti ». L’économie tourne au ralenti, prend d’autres sentiers que les voies officielles. Le mois dernier, l’opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) a fini par annoncer un renforcement de la sécurité aux frontières avant les élections, « notamment la frontière du Liberia ». Tout ce que le pays compte de militaires y sera mêlé : armée loyaliste et ex-rebelles, l’embryon de nouvelle armée mixte, les soldats de l’ONU et de la force française « Licorne ».

Pour l’heure, que peut faire l’adjudant Gbahore et sa brigade « mixte » ? Saisir quelques vieilles pétoires, sans rapport avec les armes de guerre utilisées. Et se montrer dans les villages. Lui et son groupe - point positif - composé de gendarmes et d’anciens rebelles. Ils officient sous le centre de commandement intégré (CCI), qui peine tant à se mettre en place. Difficile de collaborer après s’être fait la guerre. Encore plus de renoncer à des grades vite acquis au sein d’une armée rebelle officieuse.

En juin, trois, émeutes ont éclaté parmi les ex-rebelles. Il leur avait promis une prime mensuelle de 90 000 francs CFA (137 euros), prévue pour chaque soldat démobilisé. Ils n’ont toujours rien reçu. Le week-end dernier à Séguéla, dans le Nord-Ouest, les mutins ont gardé « en otages » quatre de leurs chefs pendant trois jours.

C’est le moindre des problèmes de la Côte d’Ivoire. Reste aussi à identifier les électeurs et à dresser une liste électorale moins tronquée qu’en 2000. Avec, toujours, la question de l’identité ivoirienne, restée sans réponse. « On règle le problème en n’en parlant pas », constate Christian Bouquet, professeur de géographie politique à l’université Bordeaux-III, joint par téléphone. L’entreprise française Sagem et l’Institut national de la statistique, sorte d’INSEE ivoirien, se partageront la tâche. En auront-ils le temps d’ici au 30 novembre ? Surtout, qui est ivoirien et qui peut voter ? Il y a six ans, cette même question avait déclenché un conflit armé.

Vincent Defait

Tag(s) : #Monde
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