Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Politique - Article paru le 1er juillet 2008 dans l'Humanité

souffrance au travail

Arrêts maladie : le flicage des salariés s’intensifie

Les contrôles se durcissent, poussant les salariés malades à travailler . C’est oublier que là où le gouvernement voit des abus se cachent la pénibilité du travail, le stress et sous-effectif.

Faire baisser l’absentéisme. C’est aujourd’hui le leitmotiv de toutes les entreprises. Un objectif qui passe notamment par la réduction des arrêts de travail. L’exemple de la Poste en est l’illustration parfaite : les réorganisations s’enchaînent, entraînant la dégradation des conditions de travail, dont les arrêts maladie sont une des conséquences directes. À Paris, la direction de l’entreprise postale a carrément fait appel à une société privée de contrôle médical. L’objectif : faire reprendre à tout prix le travail aux salariés malades. Destinée, en théorie, à contrôler le bien-fondé d’une incapacité de travail pour raison médicale, cette pratique s’apparente à « une méthode pour fliquer les travailleurs » et leur mettre « une pression maximum », dénonce le syndicat SUD.

Dans l’industrie, les directions ont, encore plus souvent que dans le public, tendance à recourir aux contre-visites médicales. Mais il arrive aussi que les syndicats se rebellent. À Pechiney Dunkerque comme chez Michelin à Roanne, plusieurs contre-visites ont soulevé un tollé, et des débrayages ont permis de suspendre les contrôles. « Désormais, quand la direction estime qu’un contrôle est nécessaire, elle en informe les délégués du personnel », indique Dominique Wailly, de la CGT de Pechiney, précisant qu’il n’y a « pratiquement plus de contrôle depuis ».

Depuis la réforme de l’assurance maladie de 2004, le gouvernement a choisi la voie de la culpabilisation, accusant les assurés sociaux d’être responsables du fameux « trou de la Sécu ». Dans cette optique, chaque salarié est soupçonné d’abuser de la solidarité nationale en usant d’arrêts maladie à des fins frauduleuses. Pour freiner la croissance des dépenses concernant les indemnités journalières qui auraient augmenté de 50 % entre 1997 et 2002, la Sécurité sociale a donc renforcé les contrôles. Depuis 2005, toute personne en arrêt de travail de courte durée peut recevoir à tout moment la visite d’un médecin contrôleur. Et pour « renforcer l’efficacité de son action », l’assurance maladie procède depuis août 2007 au contrôle des arrêts à partir du 45e jour, et non plus du 60e. À ces visites s’ajoute le contrôle de l’employeur. Une procédure a d’ailleurs été mise en place à titre expérimental dans certains départements afin de renforcer la coordination entre le contrôle des caisses de la Sécu et la contre-visite médicale (lire ci-contre).

Pourtant, les faux malades ne sont pas nombreux. Toutes les études le montrent : seulement 6 % des arrêts seraient injustifiés. Mais avec l’arrivée à la tête de l’assurance maladie de Frédéric van Roekeghem, qui, précisons-le, a fait ses armes dans l’assurance privée, le chiffre d’arrêts non justifiés a bondi à… 17 %.

Pression sur les médecins contrôleurs, prime au mérite accordée aux contrôleurs les plus zélés, restrictions des droits de sortie des malades, réorganisation du fonctionnement des caisses de l’assurance maladie… Tout est fait pour accentuer la pression sur le malade. L’exemple le plus frappant de cette politique est sans nul doute la manière dont la Sécu s’arrange pour renforcer l’idée d’abus généralisés. Prenez le cas de M. D., arrêté huit jours pour une sciatique. Le médecin contrôleur de la Sécu lui rend visite et constate que son arrêt est bel et bien justifié. Ce qui ne va pas l’empêcher de le considérer comme abusif à compter du 9e jour et de faire une notification de prolongation interdite. En clair, cela signifie que tout nouvel arrêt à compter du 9e jour sera jugé a priori injustifié et ne donnera pas droit à indemnisation. D’une part, on met ainsi la pression sur l’assuré au cas où il aurait besoin d’une prolongation. D’autre part, chaque avis défavorable alimente le nombre (fictif) d’arrêts abusifs.

Si de plus en plus de salariés sont obligés de reprendre leur travail à la suite du contrôle de la Sécu, nombreux sont aussi ceux qui ne s’arrêtent pas. Depuis une quinzaine d’années, les généralistes voient affluer dans leurs cabinets des patients qui refusent tout arrêt. « Quand on gagne à peine 800 euros par mois, on ne peut pas se permettre d’attendre que la Sécu vous rembourse », témoigne ainsi Sara (1), employée dans un fast-food d’une grande ville de province. La peur des représailles pousse aussi de nombreux travailleurs malades à travailler. « Si je me fais arrêter, ils vont me le faire payer », craint Mireille (1). Employée dans une entreprise de nettoyage, elle dit « avoir peur de se faire virer ». Dans ce secteur précaire, avec horaires décalés, les licenciements pour raison de santé sont légion.

« La tendance, c’est que les gens ne veulent plus s’arrêter. Je reçois des patients qui ont 40 degrés de fièvre et des douleurs sciatiques, mais ne peuvent se permettre de perdre trois jours de salaire. Je vois des gens malades qui travaillent malades par peur de la pression de leur employeur », confirme Marcel Garrigou-Grandchamp, médecin généraliste à Lyon, parlant de son « vécu de généraliste de classes moyennes ». Et ce praticien de souligner la pression à laquelle sont soumis les généralistes depuis la loi d’août 2004. Lui préférerait être « déchargé de cette corvée des arrêts de travail ». « Ça devrait être à la Sécu de déterminer le nombre de jours de maladie nécessaires », estime-t-il. Cette pression, Marie-Claire, agent à la Sécu depuis vingt-sept ans, la constate jour après jour : « Les généralistes ont des consignes pour prescrire moins d’arrêts. Quant aux médecins conseils de la Sécu, ils ont aussi des quotas à respecter. Il faut qu’ils justifient de moins en moins d’arrêts. » Et de dénoncer le double langage de l’assurance maladie : « Se préoccuper de la précarité ; sauf que, dans les faits, on en est loin. »

Le problème, c’est que contraindre les salariés à se cramponner à leur boulot, quitte à ce que leur santé se détériore, finit par coûter cher à la Sécurité sociale. Comme le rappelle la CFE-CGC, « un scanner coûte plus cher qu’un arrêt car une maladie aggravée faute de repos coûte plus cher à soigner ». « Aborder les arrêts uniquement sous leur aspect économique est réducteur et vise à dénaturer le rôle des arrêts dans le chemin vers la guérison », rappelle Jean-François Naton, administrateur CGT à la CNAM. « On est dans une logique de guerre aux salariés, où l’arrêt de travail n’est plus un droit », dénonce-t-il, soulignant le « paradoxe » de la situation actuelle : traquer de prétendus abus et faire l’impasse sur les origines des maux alors que le gouvernement « nous fait travailler sur la question des conditions de travail et des risques psychosociaux ». Car là où le gouvernement voit des abus, se cache la pénibilité du travail, le stress de l’augmentation des cadences et le sous-effectif.

(1) Les prénoms ont été modifiés par souci d’anonymat.

Alexandra Chaignon

Tag(s) : #Santé
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :