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Politique - Article paru le 18 février 2008 dans l'humanité

Cinquante heures par semaine ? « On n’est pas en Chine ici ! »

textile . Dans l’Aube, un sous-traitant propose de travailler cinquante heures certaines semaines. Inacceptable mais révélateur des difficultés du secteur.

Troyes (Aube),

envoyé spécial.

Survivre, mais à quel prix ? Les salariées de l’atelier du sous-traitant de prêt-à-porter EMO ont déjà accepté beaucoup. Comme travailler jusqu’à quarante-cinq heures par semaine pendant les périodes à fortes commandes. Un accord d’entreprise mettant en place l’annualisation du temps de travail, signé par la CFDT pour « montrer qu’elle était prête à faire des efforts », justifie Sabine Courtaban, secrétaire générale du syndicat Habillement, cuir, textile et blanchisserie (Hacuitex) de la CFDT de l’Aube. À présent, ce sont cinquante heures qui sont proposées à ces ouvrières. « Cela fait beaucoup, mais si on nous paye on le fera », affirme Marie-Josée, cinq ans de maison. « Il y a beaucoup de femmes seules avec des enfants à charge. Elles ont besoin de leur salaire alors elles baissent la tête. Mais, on n’est pas en Chine ici ! », estime la syndicaliste.

Un travail à moindre coût

Un fatalisme d’autant plus présent chez les salariées qu’elles regardent avec inquiétude l’épée de Damoclès qui pend au-dessus de leur tête. Son nom : délocalisation. Depuis quelques années, EMO a externalisé une partie du montage des produits qu’elle confectionne, en Roumanie, où travaillent une quinzaine d’employés. Une décision prise en dernier recours et sous la contrainte, selon son PDG. « Nous ne travaillons qu’avec des marques. Ce sont elles qui, en fonction des prix qu’elles fixent, nous imposent un travail à moindre coût et donc à l’étranger », explique Dominique Regazzoni, qui argue d’avoir rempli cinq bus pour une manifestation contre les délocalisations à Paris. « Je suis un patron, mais je n’ai rien à voir avec ceux du CAC 40 », explique celui qui glisse dans la conversation une pique contre la ratification du traité de Lisbonne, ou encore qu’il a « toujours voté à gauche ».

« Avant, dans le milieu du textile, on avait affaire à des professionnels. Aujourd’hui, ce sont avant tout des acheteurs qui ne parlent que de marges, raconte Jean-Dominique Regazzoni, directeur industriel de l’entreprise. À EMO, nous avons la chance d’avoir encore des clients du métier, avec une éthique. Mais on est encore trop chers », précise ce fils du patron qui occupe également la fonction de président départemental de l’Union des industries textiles (UIT), affiliée au MEDEF. C’est suite à la liquidation de la prestigieuse bonneterie Mauchauffée, en 1979, que Dominique Regazzoni a créé EMO. En 2000, l’entreprise reprend les tricotages de Marmoutier, en Alsace, et possède depuis des parts dans plusieurs petites entreprises, pour défendre « le travail en France » et contre « les fonds d’investissements ». Fin 2006, EMO rachète Chloé, une petite entreprise de prêt-à-porter au bord du dépôt de bilan. Depuis quelques mois, la quinzaine de salariées avaient rejoint les locaux de la maison mère avant d’apprendre, la semaine dernière, du jour au lendemain, qu’elles étaient licenciées à l’exception de quatre d’entre elles.

Pour Françoise Donchery, déléguée syndicale CFDT, le discours du chef d’entreprise n’est qu’un leurre. Et de décrire Dominique Regazzoni en patron sans âme. « Le personnel est vieillissant. Il y a de plus en plus de troubles musculo-squelettiques (TMS), explique-t-elle. Nous avons accepté les quarante-cinq heures parce que l’on sait que les entreprises de sous-traitance ont de grosses difficultés. Mais Regazzoni doit parler aux salariés et leur dire la vérité en face. Ce n’est pas parce que nous travaillerons plus que nous sauverons nos emplois. Les donneurs d’ordre tireront encore les prix vers le bas. EMO n’y arrivera pas et tranchera dans la masse salariale… » Et de prévoir l’inévitable pour l’entreprise : « Tous les sous-traitants se sont cassé la figure. Nous ne voulons pas faire les oiseaux de mauvais augure, mais on est voués à disparaître », prédit Sabine Courtaban.

Haut lieu du textile, la Champagne-Ardenne (et l’Aube en particulier) voit son tissu industriel décliner depuis plusieurs décennies. Alors que le département comptait trente mille emplois dans le secteur dans les années soixante-dix, ils n’étaient plus que cinq mille en 2005. Même tableau au niveau national avec une chute de huit cent mille à cent dix mille emplois entre 1960 et 2005.

Le recours au chômage partiel

C’est le nombre de commandes et les délais de livraison imposés par les clients qui déterminent les cadences. À côté des semaines de quarante-cinq heures, il existe des périodes plus calmes d’une vingtaine d’heures - voire pas d’heure du tout… L’an dernier, EMO a eu recours au chômage partiel. Un « coût supplémentaire de 101 000 euros » pour la société, dont le chiffre d’affaires pour l’exercice 2006-2007 a baissé de 16 %, mais elle est restée bénéficiaire. « On ne se le met pas dans la poche. On réinvestit dans le matériel », garantit l’entrepreneur. Sur quelque deux cents salariés, environ la moitié sont encore payés à la pièce. En fin de mois, ils arrivent tout juste au SMIC… Dominique Regazzoni, lui, s’accorde 4 700 euros. « Pas énorme » quand on a la responsabilité de trois cents salariés…

Dans le quartier qui accueillait de nombreuses entreprises textiles, seule EMO résiste encore. Tout autour, les anciens ateliers en brique se transforment en loft à bobos. Mais l’étau se resserre chaque jour davantage.

Ludovic Tomas

Tag(s) : #Politique
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