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Société - Article paru le 18 février 2008 dans l'Humanité

Immigration choisie, expulsions aveugles

Sans-papiers . Trois cas d’êtres humains en danger dans le Sud-Est, qui témoignent de l’absurdité et de la cruauté de la politique gouvernementale vis-à-vis des étrangers.

Grasse (Alpes-Maritimes),

correspondant régional.

Saïd, Algérien, demande que dans la République dont le président a fait de « l’Union méditerranéenne » humaniste l’un des piliers de sa politique étrangère, son nom ne soit pas rendu public. Car il a peur de s’exprimer librement. Saïd était professeur de français quelque part à la campagne en Algérie. C’est pour cette raison qu’il a dû quitter son pays en juillet 2000. Et Saïd ne peut plus cacher son homosexualité. Car, ironie du sort, c’est la police française qui l’a révélée à ses compatriotes exilés comme lui dans la région de Nice, à l’occasion d’une enquête de voisinage sur l’assassinat d’un homosexuel français. « Parmi les Algériens, certains me crachent maintenant à la figure », dit Saïd qui, après avoir été placé en garde à vue, a passé vingt mois ( !) à la maison d’arrêt de Grasse avant d’être innocenté, en mars 2007, grâce… à des tests ADN. Depuis, Saïd est retourné à sa vie de semi-clandestin forcé : petits boulots au noir dans le bâtiment et le bénévolat, au grand jour, dans une association caritative populaire. Il ne sort pas la nuit et ne met jamais les pieds dans les « gares Schengen » (à moins de trente kilomètres de la frontière) de Nice et d’Antibes, où des descentes de police sont régulièrement effectuées. Il a pris un avocat pour faire valoir ses droits. Pas celui à une indemnité financière pour ses six cents jours de prison inutiles, mais celui de vivre, tout simplement : « Enseignant et homosexuel, il est doublement menacé de mort dès sa descente d’avion, car le terrorisme islamiste a repris en Algérie », résume son avocat, Me Adam Krid, qui tente, pour l’instant en vain, d’en convaincre le préfet des Alpes-Maritimes.

Interpellée

à la préfecture

Celui du Var pourra faire valoir auprès de son patron de la place Beauvau qu’il a dépassé, en 2007, le quota d’expulsions qui lui avait été fixé. Quelque 282 expulsions ont été prononcées dans ce département, alors que le ministère avait fixé la barre à 240. Les véritables pièges mis en place dans les préfectures, en dehors des rafles devant les écoles ou sur les lieux de travail, fonctionnent à merveille. Bing Yang, par exemple, jeune Chinoise de vingt-neuf ans, est tombée en plein dedans : le 30 novembre dernier, elle était interpellée au guichet même de la préfecture varoise, alors qu’en toute confiance elle se renseignait sur son dossier de régularisation, ainsi que le rapporte le quotidien Var-Matin. Le rêve de cette immigrée de choix, qui venait de décrocher à l’université de Toulon un diplôme de gestion d’entreprise, était d’ouvrir une boulangerie-pâtisserie après avoir suivi une formation pratique en alternance. Sous le coup d’un rejet de sa demande de titre de séjour, prononcée sans qu’elle le sache en octobre dernier, cette héroïne d’une histoire de boulanger à la Fernand Raynaud attend un geste du préfet qui lui permettrait de faire du pain pour les Français.

Ce n’est pas du gâteau non plus pour Idriss Daadaa de ne pas être traité comme une donnée statistique, mais comme un être humain. Ce Tunisien vit depuis 2001 à Grasse (Alpes-Maritimes), où il exerce un travail régulier. Malgré cela, il est actuellement détenu au centre de rétention de Nîmes (Gard), et donc séparé de sa femme, enceinte de six mois dans des conditions de grossesse difficiles, et de ses deux enfants, Wadji, quatorze ans, et Jihene, onze ans, tous deux élèves sans histoires au collège Saint-Hilaire de la cité des Parfums. Cela sent aussi, dans ce cas, le piège. Car en juin 2006, Idriss Daadaa avait fait, dans le cadre de la circulaire Sarkozy, une demande de régularisation en bonne et due forme. Six mois après, au petit matin, il était arrêté chez lui sous les yeux de ses enfants et conduit aussitôt à Nîmes… faute de place dans le centre de rétention de Nice. Cela s’est passé le jour de la Saint-Sylvestre. Peut-être manquait-il une unité au préfet pour atteindre lui aussi le quota fixé à Paris ?

En tout cas, le 6 février dernier, le couperet tombait au tribunal administratif : une expulsion du père, décidée en quelques minutes ! Aussitôt, des camarades de classe des enfants, des enseignants du collège et des militants locaux du RESF se rassemblaient devant la sous-préfecture de Grasse. « On ne demande plus à être reçus en délégation, c’est inutile, nous voulons simplement exprimer notre émotion et notre colère », expliquait Richard Pfau, le parrain républicain de la famille Daadaa. Ce, au pied du mât supportant un drapeau tricolore fatigué, comme en berne.

Philippe Jérôme

Tag(s) : #Société
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