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Ce témoignage d'un journaliste de Paris Match est puissant, je vous conseille d'avoir le cœur bien accroché car l'effroi est palpable :

LA GUERRE TOTALE

Il n’y a désormais plus aucune zone où l’on soit en sécurité à Gaza. Le dernier « verrou » a sauté. Des F16 israéliens ont frappé le front de mer de Gaza. Là où se trouvent les hôtels qui abritent journalistes et humanitaires du monde entier. Jusqu’à présent, c ‘était un sanctuaire. Les bombes surpuissantes larguées par les F16 sur le port de Gaza ont envoyé le message. Il est 5h du matin lorsque une énorme explosion fait exploser les vitres de ma chambre du « Beach Hôtel » et trembler les murs du bâtiment. Un panache de fumée noire s’élève au loin.


L’explosion me tire de ma somnolence. Tous les journalistes sont regroupés dans le hall d’accueil, certains casqués, et revêtus de gilets-pare balles. Mais ils hésitent à sortir. Seul, je pars en direction du point d’impact. Je veux savoir, comprendre. La course folle s’engage. La ville me semble plus morte que jamais après la nuit où les Israéliens ont bombardé à outrance et sans répit. D’invisibles drones vrombissent. A mi-chemin, une seconde explosion. Puis une troisième, sur la même cible: la jetée du port de Gaza. A chaque fois je m’abrite comme je peux. Les éclats volent. Puis le silence revient. C’est l’accalmie dans la tempête. Je reprends mon chemin, aux aguets, les sens en alerte. Je découvre enfin la zone visée. Un bâtiment officiel, déserté depuis longtemps, est en flamme. Une acre fumée s’élève vers le ciel. Au plan militaire, la cible visée n’a aucun intérêt. Le but de la frappe est ailleurs. Le message sera propagé par l’onde de choc qui va toucher et endommager de nombreux hôtels: Plus rien ni personne n’est à l'abri maintenant. Plus de zone «sécurisée». Tsahal, l’armée israélienne, s’autorise désormais toutes les frappes. Juste avant celle-ci, toute la puissance de feu israélienne a été utilisée pour viser toutes sortes de cibles. Les fameux tunnels du «Hamas» dans les zones, frontalières, des places fortes supposées du Hamas. Des ministères, des infrastructures, des citernes d’eau, des stations-services, le bâtiment abritant la radio du mouvement. Qui n’émet plus. Des mosquées aussi ont été détruites. Au prétexte qu’elles auraient été utilisée par les combattants d’une résistance unifiée, pour abriter des armes, ou tirer des roquettes sur Israël. C’est la guerre totale et sans merci. Elle sera peut-être longue a déclaré le premier ministre israélien. «Nous irons jusqu’au bout pour vaincre le Hamas» a t-il juré.

"L'Aïd, c'est comme Noël pour vous"

La veille pourtant, Gaza goutait un moment de répit tant attendu. Et s’était mis à revivre le temps d’un cessez-le-feu en quelques heures. Les Palestiniens s’apprêtaient à fêter l’Aïd. L’ONU et Barack Obama appelaient fermement à un arrêt immédiat et inconditionnel de l’opération «Bordure Protectrice» ayant fait tant de morts, et semé la dévastation. La journée avait commencé dans le calme. On avait pu voir refleurir pour la première fois des sourires sur les visages des enfants. «Ici, l’Aïd, (la célébration de la fin du Ramadan), c’est comme Noël pour vous. On fait tout pour que nos gosses s’amusent» raconte un chauffeur de taxi qui n’a plus de clients. Dans Gaza, quelques balançoires avaient été installés. Les enfants jouaient avec des ballons volants multicolores. Les petites filles avaient sorti leur plus beaux habits. Les enfants venaient à la rencontre des journalistes en riant, en criant: «Hello, Hello! How are you?» Ils posaient volontiers devant l’objectif des photographes. Et puis tout, comme souvent ici, a basculé en quelques heures. Benjamin Netanyahou a fait savoir qu’il rejetait les demandes internationales. Exit le cessez-le feu inconditionnel. Le spectre d’une guerre encore plus meurtrière et dévastatrice pointait à l’horizon. Et l’Aïd s’est terminée dans le sang.

Avec encore une frappe inexplicable à deux pas de l’hôpital al Shifa, dans une rue, où des enfants jouaient en masse sous le regard protecteur de leurs parents. Mais qui pouvaient les protéger d’éclats de bombe meurtriers. La fin de l’après-midi arrive, lorsque les journalistes se ruent vers l’hôpital. La rumeur dit que c’est là que les Israéliens ont envoyé un drone d’attaque. Lorsque j’arrive en compagnie de quelques confrères, l’établissement est le théâtre de scènes atroces. Le chaos est là. La détresse le dispute à la colère. Autour des quatre cadavres alignés de quatre enfants de moins dix ans, une foule compacte qui verse dans la rage collective. Des blessés errent hagards, couverts de sang. Le sang qui macule le sol de l’hôpital partout. Ailleurs sur un brancard, le corps d’un homme recouvert d’un linceul de fortune. Deux autres enfants sans vie, aux yeux encore ouverts, sont transportés vers la morgue difficilement. Un père hurle en tenant la main de son gamin criblé d’éclats. Des femmes pleurent, se frappent la poitrine, implorent le ciel.

L’endroit où s’est produite l’explosion, une rue adjacente à l’hôpital Shifa, offre une vision de cauchemar. Là encore du sang, sur le bitume, des voitures pulvérisées, des maisons criblées d’impacts, une balançoire disloquée. Et des centaines de personnes réclamant vengeance. «Ces chiens d’Israéliens tuent nos enfants le jour de la fête sacrée pour les musulmans. Il n’y a pas de mot pour qualifier cela. Ce sont des barbares» dit un commerçant du quartier dont l'échoppe a volé en éclats.

Un bombardement toutes les deux minutes

Mais Israël, lancé dans une spirale de violence sans fin, ne va pas respecter le temps du deuil avant de relancer sa machine de guerre. A terre, je récupère un tract lâché par les avions de l’état hébreu. Une liste de noms d’un coté. Celle des combattants du Hamas ou du Djihad islamique qu’Israel dit avoir tué. De l’autre coté une carte de la Palestine avec des tombes et cette formule sans ambiguïté: «Qui d’entre-vous sera le prochain?». Au même moment, Israël demande officiellement aux habitants qui demeurent encore dans le quartier-martyr de Shi’tlaya et celui de Zeitoun de les quitter au plus vite. Mais ceux qui y sont encore n’ont aucune échappatoire.

Les territoires palestiniens comptent déjà 300 000 réfugiés palestiniens. Les écoles de l’UNWRA transformées en refuge sont bondées. Et parfois ciblées… Gaza est plongé dans le noir, dans les ténèbres lorsque les bombardements reprennent. F16, hélicoptères Apache, drones d’attaques, artillerie lourde, canons de marine, troupes au sol: Tsahal engage toute sa puissance de feu. Les bombardements sont incessants, un toutes les deux minutes environ, et vont durer jusqu’à l’aube, jusqu’à l’attaque ciblant le front de mer. Pendant des heures, je vois le ciel illuminé par des fusées éclairantes, et les éclairs des déflagrations lourdes. Un son et lumières sinistre. De leur coté, les hommes du Hamas réussiront à envoyer quelques roquettes en milieu de nuit vers Israël. Au petit matin c’est l’accalmie. Dans toute la bande de Gaza, des familles s’en vont enterrer leur «martyrs». Avant que l’engrenage de la violence ne reprenne ses droits. «Netanyahou est devenu fou. poussé par son aile droite il n’écoute plus personne» dit Raji Sourani, un homme de loi, avocat de formation, qui dirige le centre des droits de l’Homme palestinien. Un homme à la renommée internationale autrefois décoré par Jacques Chirac, et ayant reçu de nombreuses distinctions pour son action de juriste. «Israël a transformé Gaza en Zoo.

Pour les Israéliens nous sommes des animaux et la chasse est ouverte». Nul ne sait désormais combien de temps la guerre va durer. Si tout peut rebasculer à nouveau. Mais dans chaque camp, on dit avoir atteint le point de non-retour… Dans un des cimetières de Gaza, les victimes de la dernière offensive sont enterrées à la chaine. Le pire reste pourtant peut-être à venir. Devant une tombe, un vieil homme au visage trahissant une effroyable souffrance «J’ai enterré ma femme, mon fils. Ils étaient tout pour moi. Je n’ai plus de maison. je n’ai plus rien, plus de raison de vivre. Je suis là depuis hier, et je vais rester là. J’attends que la mort vienne. Elle sera ma délivrance».

Frédéric Helbert

illustration / Dans les cimetières de ‪#‎Gaza‬, des hommes dorment entre les tombes, pour ne pas quitter les morts. ‪#‎FreePalestine‬

La guerre est totale contre Gaza (témoignage d'un journaliste de Paris Match
Tag(s) : #Monde
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