La Mairie, cellule de base de la démocratie française. Nicolas Sarkozy veut mettre fin à une tradition française née lors de la Révolution de 1789. (Photo DR)
Décryptage. Le projet de réforme des collectivités locales est volontairement rédigé dans un style technocratique, illisible pour le plus grand nombre. Tentative de la
clarification.
COMMUNES
Les 36 686 communes représentent la cellule de base de la démocratie française. Créées pendant la Révolution française (le 14 décembre 1789), elles sont gouvernées par environ
500 000 conseillers municipaux, la plupart à titre bénévole. A leur tête, le maire aux pouvoirs très étendus qui gère, avec ses adjoints, une autonomie communale à laquelle les
Français sont très attachés. La commune assure un grand nombre de services publics.
C’est précisément cette large autonomie, renforcée par les lois de décentralisation des années 80, qui est remise en cause par la réforme Sarkozy. L’objectif est de supprimer un
grand nombre de ces communes au profit d’une intercommunalité autoritaire dont les préfets seront les deus ex machina. Ils auront, en effet, la possibilité de décider la
création et la modification des intercommunalités. A terme, un grand nombre de communes deviendront l’équivalent de quartiers ou d’arrondissements et le pouvoir des élus
municipaux réduit à la portion congrue.
COMPETENCES
Les lois de décentralisation ont réparti les compétences principales des collectivités territoriales. Pour l’essentiel, les communes s’occupent de l’administration locale, les
départements des affaires sociales et de la solidarité (80% de leur budget), les régions de l’économie, de la formation professionnelle, des transports (80% de leur budget). Ces
mécanismes, mêmes s’ils sont à améliorer, obtiennent de bons résultats.
Jusqu’à présent, au nom de l’exercice de la compétence dite générale, départements et régions pouvaient intervenir sur des domaines extérieurs à leur stricte compétence. En
moyenne, cela représentait 6 à 20% de leurs dépenses. Ces financements croisés sont très utiles, notamment pour les activités associatives, culturelles ou sportives.
La réforme Sarkozy met fin à la compétence générale des départements et des régions. Seules les communes la conserveront mais avec des moyens largement revus à la baisse. Les
effets de cet oukase seront catastrophiques pour le mouvement associatif et un grand nombre des réalisations utiles aux populations.
MILLEFEUILLE
C’est l’argument que Nicolas Sarkozy utilise à tout propos. Selon lui, la structure territoriale du pays serait source de gaspillage, d’irresponsabilité, d’inefficacité. Sans
doute peu compétent en matière de géographie européenne, le chef de l’Etat devrait savoir que la France s’inscrit dans la moyenne européenne. La plupart de nos voisins
connaissent également trois grands échelons territoriaux : commune, département et région même si les noms diffèrent. Une structure qui correspond, en fait, à des besoins
similaires.
En revanche, de l’Allemagne à l’Italie ou à l’Espagne, le principe de régionalisation atteint des niveaux inconnus en France. Surtout si la réforme des collectivités
territoriales est votée : nous assisterons alors à une véritable marche arrière avec une recentralisation en route.
Ajoutons d’ailleurs qu’au nom de la lutte contre le millefeuille, Nicolas Sarkozy en ajoute une couche avec la naissance des métropoles, dont l’une des conséquences sera
d’éloigner plus encore les citoyens des grands centres de décision. A gauche, certains redoutent que ces super-territoires ne deviennent « des archipels du profit financier
».
INVESTISSEMENT
Devant les députés en octobre dernier, le ministre du Budget, Eric Woerth, expliquait qu’il « ne peut pas y avoir, d’un côté, un Etat qui fait des efforts considérables de
productivité et, de l’autre, une fonction publique territoriale qui voit ses effectifs augmenter de 3 % par an en moyenne. » Une position hypocrite qui tourne le dos à la
réalité de l’action quotidienne des collectivités locales. D’ailleurs, le ministre de Sarkozy se garde bien d’évoquer un chiffre révélateur : 73% des investissements publics
sont réalisées par les collectivités qui emploient 1,8 million d’agents. Les collectivités assurent les services publics de base : écoles, crèches, logements, équipements
sociaux, culturels, sportifs, de santé… En ces périodes de dérégulation libérale, elles ouvrent l’appétit des grands groupes financiers.
A la différence de l’Etat perclus de dette, notamment depuis l’arrivée à l’Elysée de Sarkozy, les budgets des collectivités ne représentent que 10% de la dette publique. En
outre, cette dette régresse depuis 1995. Leur dépense représente 11,3 du PIB contre une moyenne de 12,7 pour le reste de l’Europe.
METROPOLE
Le projet Sarkozy prévoit la création d’une nouvelle structure pour les zones urbaines atteignant 500 000 habitants, la métropole. Cette métropole se
substituera sur son territoire aux collectivités préexistantes (communes, communautés et conseil général) et percevra la totalité de la fiscalité locale et des dotations de
l’État sur son territoire.
Très éloignée des citoyens, empiétant sur l’autonomie des autres collectivités locales, cette création sarkozienne ouvre la voie à la constitution de véritables féodalités.
C’est l’un des effets majeurs de la recentralisation qui favorise le pouvoir d’Etat au détriment des élus locaux. Le Grand Paris, voulue par l’Elysée, est la caricature même de
cette option.
CONSEILLERS
TERRITORIAUX
C’est l’une des novations majeures de la réforme est aussi l’une des plus inquiétantes. Le président de la République a décidé que les Français élisaient, par le suffrage
universel, trop de représentants. Alors, il décide de diviser par deux le nombre d’élus départementaux et régionaux qui passent de 6000 à 3000. En outre, le même élu siègera au
Département et à la Région, cumulant ainsi des responsabilités qui rendra impossible la proximité avec les citoyens. C’est aussi le moyen d’aggraver le phénomène du cumul des
mandats dont souffre déjà la vie démocratique. C’est encore un coup porté à l’existence même des départements. Le pouvoir n’a pas osé les supprimer. Il tente de le faire de
manière détournée et sur la durée.
L’une des raisons évoquées par Sarkozy est le coût trop élevé des élus. Mensonge ! Il ne représente que 0,02% du budget des collectivités et 450 000 élus sont des
bénévoles.
MODE DE SCRUTIN
On touche ici à l’une des raisons majeures de la réforme : affaiblir la gauche qui dirige l’essentiel des collectivités locales. Pour ce faire, on invente un mode de scrutin
pour élire les conseillers territoriaux totalement étranger à la culture électorale : le scrutin uninominal à un tour qui concernera 80% des élus. 20% étant désigné à la
proportionnelle. Cette nouvelle règle du jeu électoral avantage l’UMP, parti unique de la droite, face à la gauche dont la diversité est une spécificité historique.
D’ores et déjà, le Conseil d’Etat s’est élevé contre cette machine de guerre anti-gauche. Selon ces magistrats, « le mode de scrutin projeté est de nature à porter atteinte à
l’égalité comme à la sincérité du suffrage ». Le constitutionnaliste Guy Carcassonne souligne même le caractère inconstitutionnel du projet de
réforme.
TAXE PROFESSIONNELLE
La suppression de la Taxe professionnelle (TP) incarne à elle seule la nocivité de la réforme des collectivités locales. Paradoxalement, elle n’entre pas dans les projets de
texte législatifs, débattus jusqu’en 2014, mais se retrouve dans le projet de finances 2010. C’est que pour le pouvoir, il fallait faire vite pour satisfaire une très vieille
revendication du Medef et mettre ainsi les collectivités locales devant le fait accompli.
Pour les collectivités locales, il s’agit d’un véritable séisme. La TP, l’un des quatre impôts directs qu’elles perçoivent, représente la moitié de leurs ressources fiscales. Si
les entreprises, principalement les plus grandes, vont économiser six milliards d’euros, le manque à gagner est considérable pour les collectivités. Elle ne sera compensée que
partiellement par des dotations. Au total, l’étranglement financier des collectivités territoriales va s’aggraver. Au détriment de leur mission de service public mais aussi de
la pression fiscale sur les ménages. Alors qu’aujourd’hui, les recettes des collectivités proviennent à 49% des entreprises et 51% des ménages, avec la réforme Sarkozy, les
recettes fiscales proviendront à 75% des ménages et à 25% des entreprises.
Pas étonnant dans ce contexte si la patronne du Medef, Laurence Parisot déclare : « Cette réforme représente un changement de cap majeur pour l'économie de notre pays
».
Christian Digne
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