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Mardi 10 novembre 2009
Par Pascal Boniface (1)

Très souvent, par absence de mise en perspective ou par nécessité de forcer le trait, on confond événement et rupture historique. Trop souvent, on entend que plus rien ne sera comme avant après tel ou tel événement. Or s'ils ont une réelle importance et marquent une évolution dans la structure des relations internationales, ils représentent rarement une rupture. Le monde n'est pas immuable, il évolue, mais ses évolutions ne sont pas forcément des révolutions.

Il n'y a en fait pas eu de nouvelle rupture historique depuis la fin du monde bipolaire. Le monde est actuellement en recomposition. Dans une période récente, on a annoncé à quatre reprises une révolution stratégique. Le 8 août 2008 notamment - date de l'ouverture des Jeux olympiques de Pékin et du déclenchement de la mini-guerre entre la Russie et la Géorgie -, que certains ont présenté comme une rupture historique illustrant que la Chine était devenue une puissance de premier plan et que la Russie en était redevenue une.
Or ces deux pays ne sont pas (re)devenus des puissances en un jour. Depuis le début de la décennie, la Russie reconstituait ses forces et montrait que l'heure des humiliations subies au cours des années 1990 était révolue. Quant à la Chine, si justement on lui attribuait les Jeux en 2001, c'était parce qu'elle était déjà une grande puissance. Ni la Chine ni la Russie ne sont apparues au premier plan en un seul jour.
De même, lors du déclenchement de la crise financière aux Etats-Unis, certains ont annoncé la fin de la puissance américaine, cette crise venant compléter les crises stratégique et morale générées par la guerre d'Irak. Or ces annonces d'un déclin inéluctable des Etats-Unis ont été démenties peu après, lors de l'élection de Barack Obama, quand d'autres commentateurs (parfois les mêmes) se sont mis à affirmer que le leadership américain sur les affaires mondiales était totalement restauré. Troisième supposée révolution historique. Lorsque, en avril 2009, le G20, et non plus le G8, s'est chargé de piloter la sortie de crise, on a alors parlé de l'avènement d'un monde multipolaire, quatrième rupture dans l'année.
Contrairement à une idée reçue et bien ancrée, le 11 septembre 2001 n'a pas plus débouché sur la naissance d'un nouveau monde. L'événement a créé un choc émotionnel immense, mais n'a pas bouleversé les rapports de force mondiaux. Si les Etats-Unis ont été durement frappés, ils n'ont pas été soudainement affaiblis. La place relative de l'Europe, de la Russie, de la Chine et du Japon n'a guère été modifiée.
La dernière véritable rupture de portée internationale n'est donc pas le "11/9" mais le "9/11", le 9 novembre 1989. Ce jour-là, le mur de Berlin s'effondrait et avec lui disparaissait le monde bipolaire qui avait organisé les relations internationales depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Avec la disparition de ce monde bipolaire, on entrait réellement dans un monde nouveau. Allait-il devenir unipolaire ou multipolaire ? En tout cas, il était radicalement différent de l'ancien et les relations internationales cessaient d'être organisées autour des deux axes que constituaient Washington et Moscou.
En réalité, il est exagéré de dire que tout s'est effondré le 9 novembre 1989. Il s'agit plutôt d'une date symbole, qui a été précédée et suivie par d'autres événements importants. Le Mur - dont la construction fut postérieure au clivage Est-Ouest - ne s'est pas effondré d'un seul coup, il était déjà très largement lézardé d'un point de vue stratégique avant que les manifestants est-allemands n'en aient raison.
On peut dire que le monde bipolaire s'était déjà craquelé lorsque Gorbatchev avait admis la fin de la doctrine Brejnev et donné un blanc-seing aux pays de l'Est, quand il avait mis fin à la guerre des euromissiles en signant le traité sur les forces nucléaires intermédiaires, en décembre 1987 à Washington, lorsqu'il avait décidé de retirer les troupes soviétiques d'Afghanistan, ou encore quand il avait commencé à libéraliser le système soviétique en permettant l'expression de critiques internes. Le pacte de Varsovie n'a été dissous que le 25 février 1991 et ce n'est qu'en décembre de la même année que l'URSS a éclaté. Entre-temps, en juillet 1989, les électeurs polonais avaient mis à la tête de leur pays le premier gouvernement non communiste depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Si l'on date la fin du monde bipolaire au 9 novembre, c'est que c'en est le symbole le plus éclatant. Mais l'événement ne s'est pas fait en un jour, de même que l'on ne peut dater de façon précise - jour, mois, année - le début de la guerre froide et du monde bipolaire. Il reste que la fin du monde bipolaire a constitué une véritable révolution stratégique et débouché sur une recomposition de l'ordre international qui se déroule sous nos yeux.
Malgré le G20, le monde multipolaire n'est pas encore une réalité parce qu'il n'y a pas d'équivalent à la puissance américaine. Mais l'émergence de nouveaux pôles de puissance et la fin du monopole du monde occidental et des Etats-Unis est une tendance lourde, qui s'affirme lentement mais depuis longtemps. Le monde n'est pas multipolaire, il est en voie de multipolarisation.


(1) Pascal Boniface est directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques.
Tag(s) : #Histoire
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