Article paru dans La Marseillaise du jeudi 12 mai 2011 | |
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Dans les Cévennes, les militants anti-gaz de schiste sont à pied d’œuvre depuis des mois. Malgré la loi, ils ne désarment pas. Au contraire. Et s’apprêtent à un combat… sur la durée.
Si des grands groupes pétroliers estimaient, à propos du gaz de schiste, « si ça passe en Cévennes, ça passera partout », ils ont
leur réponse. Ca ne passe pas, mais alors pas du tout en Cévennes, ni plus largement sur toute la zone dite de Nant qui s’étend de Montpellier jusqu’à Mende. Et ce n’est pas la pseudo loi de
Christian Jacob, tellement remaniée, qu’elle n’est plus que poudre aux yeux qui aura calmé les choses.
Certes, à l’annonce de cette loi, certains militants anti-gaz de schiste parmi les plus naïfs avaient espéré qu’elle marquerait la
fin des permis de recherche. Il faut dire que les articles 1, 2 et 3 de cette loi étaient plutôt positifs : interdiction des forages verticaux et horizontaux suivis de fracturation hydraulique
pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels en application du principe de précaution, abrogation des permis exclusifs de recherches de mines
d’hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels et modification du code de l’environnement pour imposer le respect d’un certain nombre de procédures qui aurait conditionné la délivrance du
permis exclusif de recherches ou l’octroi de la concession de mines.
Un texte dont l’utilité était l’effet d’annonce
avant tout, un seau d’eau jeté sur le feu naissant et qui avant de passer devant l’Assemblée nationale fut vite vidée de son
contenu. Votée ou pas au Sénat en juin prochain, on peut s’interroger sur les capacités de cette loi dans sa version définitive à arrêter les gros pétroliers texans. Il y a bien trop d’argent sur
la table. Ce sont les forages suivis de fracturation hydraulique qui sont interdits. La belle affaire ! Et l’exploration ? Par ailleurs les industriels devront préciser quelle technique
d’exploration ils comptent utiliser. Seraient-ils assez bêtes pour dire qu’ils vont employer une technique interdite ? Alors que la langue française leur permet suffisamment de subtilité pour
noyer le poisson (ex : stimulation de roche mère, etc.)
C’est ce qu’ont vite compris les membres des différents collectifs Stop gaz de schiste qui après un temps de réflexion sont repartis
au combat, plus déterminés que jamais. Le journaliste écrivain Fabrice Nicolino
– celui-là même qui a « sorti » à l’automne dernier le dossier des gaz de schiste en France et dont on vous recommande au passage la
lecture de son dernier ouvrage Qui a tué l'écologie ? (1) – déclarait, il y a quelques jours : « Nous assistons en direct à un coup de force des oligarchies qui détiennent les vrais pouvoirs.
Bien que n’ayant fait aucune étude exhaustive, je crois bien qu’il s’agit d’une première dans l’histoire de la République. Cette dernière a connu bien des reculades et des reniements, mais je ne
vois pas – vous me trouverez peut-être des exemples – ce qui pourrait être comparé à ce gigantesque revirement de nos élites, sur fond de fric et d’énergie. Faut-il que notre monde soit malade !
Moi qui ne me fais aucune illusion sur le système parlementaire, je vois dans les événements en cours la confirmation, à mes yeux du moins, que la forme de démocratie dans laquelle nous vivons a
totalement épuisé sa force. Elle ne survit que par inertie, faute d’une mobilisation capable de renverser la table une bonne fois pour toutes. Ne me faites pas dire que je suis contre la
démocratie. Tout au contraire. C’est parce que je suis démocrate que je crois venu le temps de l’affrontement avec ce que, dans ma jeunesse, on appelait le « crétinisme parlementaire ». Ce n’est
pas la voie la plus facile, mais je n’en vois aucune autre » (2).
C’est également ce qu’en d’autres termes Edouard Chaulet, maire de Barjac et conseiller général du Gard (connu aussi pour son
implication dans le film de Jean-Paul Jaud Nos enfants nous accuseront) disait lundi lors d’un Sit-in devant l’école des mines d’Alès-en-Cévennes (Gard) : « les élus du gouvernement d’aujourd’hui
sont les domestiques de Total. Ne vous laissez pas dessaisir de ce combat citoyen et pluriel »
Mais, et Fabrice Nicolino l’avait déjà pressenti en mars lors d’une rencontre avec la population à laquelle il avait assisté dans
les Cévennes (à Saint-Jean-du-Gard) il faut se préparer à un combat qu’il faudra tenir dans la durée parce que « ceux qui sont en face emploient des stratèges, ont de l’argent et de la patience
». Fredo, le chanteur de Ogres de Barback, groupe qui a fait de l’opposition au gaz de schiste une de ses priorités actuelles nous le confiait : « s’il faut y aller, même physiquement, moi j’irai
».
Une position partagée par nombre de gens en Cévennes, qui guettent l’arrivée des premiers camions, déterminés à bloquer les
chantiers. On se souvient encore ici des engins qui avaient flambé comme par enchantement à l’époque du combat (victorieux) contre le barrage de la Borie au printemps 1990. S’opposer aux gaz de
schiste c’est bien, (ce sont d’ailleurs globalement les mêmes personnes qui demandent que l’on sorte du nucléaire), mais alors que propose-t-on en échange ? On ne pourra pas faire l’économie de
ce débat.
La coordination nationale contre les gaz de schiste laisse visiblement tomber l’idée d’un Larzac cet été mais aimerait organiser un
grand rassemblement international (10 à 15 000 personnes) dans les Cévennes fin août. Avec pour thème : quelles énergies pour demain ? C’est à l’ordre du jour de leur réunion de dimanche 15 mai.
On en saura plus donc très prochainement.
Reportage Isabelle Jouve
(1) éditions « Les liens qui libèrent »
(2) lire plus sur son site « planète sans visa : http ://fabrice-nicolino.com)