Au bout d'une semaine de débats, rencontres et dialogues, le Forum social mondial (FSM) ferme ses portes à Dakar. L'envoyée spéciale de L'Humanité, Rosa Moussaoui [1], nous livre ses images fortes.
"Ce qui m'a frappé, c'est la présence de très nombreux paysans d'Afrique au Forum social mondial, des représentants d'organisations ou de coopératives d'agriculteurs qui font tous état d'un désespoir total. Du fait de l'hyper spécialisation de leurs cultures tournées vers l'exportation, ils vendent en ce moment à perte leurs productions d'arachide, de coton ou de cacao, sur le marchés hebdomadaires. Ils sont donc nombreux à migrer vers les grandes villes pour trouver de quoi subsister. A Dakar, ils s'agglutinent autour de la ville.
Le problème de l'Afrique est qu'il n'y a pas assez de cultures vivrières, ce qui met en danger la sécurité alimentaire des pays. Des agriculteurs venant de République démocratique du Congo racontent le rachat à tour de bras des terres arables par des multinationales pour y faire pousser des cultures industrielles d'exportation. Eux ne trouvent plus leur place dans ce contexte. Beaucoup de débats ont été consacrés à ce thème qui est commun à bon nombre de continents. La délégation des paysans sans-terre du Brésil a raconté les mêmes problèmes.
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Il y a aussi une très forte présence des syndicats d'Afrique, d'Asie, des pays du Sud en général. Des syndicalistes indiens ont parlé de leurs luttes pour obtenir des augmentations salariales. La CGT proposait mercredi après-midi un débat pour savoir comment faire converger les luttes, pour sauvegarder la protection sociale au Nord et la développer au Sud.
L'autre fait marquant du FSM est que tout le monde regarde avec une grande attention ce qui se joue en Tunisie et en Egypte. Les Tunisiens sont nombreux ici. Quand ils sont arrivés à Dakar, ils ont été très surpris de voir que leur révolution intéressait et suscitait beaucoup d'espoir ailleurs. Dans de nombreux pays africains, la situation est aussi explosive que celle en Tunisie avant le départ de Ben Ali. La misère, le chômage, la corruption et le manque de démocratie sont communs à beaucoup de ces pays.
Ce Forum social mondial de Dakar est moins structuré que le précédent, à Bombay. Mais dans ce joyeux bazar [3], on peut faire des rencontres miraculeuses. C'est au détour d'un stand que j'ai rencontré la délégation tunisienne qui venait d'arriver. On rencontre des associations écologiques, des syndicats, des étudiants, des politiques, des intellectuels du Tiers Monde. Et quand on écoute tout ce monde, on sent une volonté commune de rupture avec le système qui régit le monde, de ne pas payer la crise provoquée par d'autres. En Afrique encore plus qu'ailleurs les gens payent très cher pour cette crise financière puis économique qui vient d'ailleurs.
Dans ce contexte, résumer ce FSM à la présence des présidentiables français dénote une étroitesse d'esprit. Seuls deux hommes politiques ont fait événement. L'ancien président brésilien Lula et le président bolivien Evo Morales. [4] Il a expliqué son expérience des nationalisations. Il a parlé de solutions concrètes pour les pays du Sud. Son discours a marqué tout le monde.