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Face à face CGT-MEDEF : vous avez dit lutte des classes ?

 

Les divergences constatées au niveau national au moment des négociations sur la sécurisation de l’emploi sont de nouveau apparues au cours de ce face à face. Photo Stéphane Clad
Les divergences constatées au niveau national au moment des négociations sur la sécurisation de l’emploi sont de nouveau apparues au cours de ce face à face. Photo Stéphane Clad
La rencontre organisée par « La Marseillaise » dans ses locaux entre Mireille Chessa, secrétaire de l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, et Stéphan Brousse, président du Medef Paca a permis aux deux responsables de débattre sur des sujets majeurs : nouveau modèle économique et social, métropolisation, travail du dimanche, port de Marseille et la lutte des classes qui s’est inévitablement invitée dans la discussion.
« La Marseillaise », ancrée à gauche sur des valeurs de transformation sociale, a réussi son pari de faire vivre la confrontation d’idées et la bataille d’opinions.
Les échanges ont été nourris, parfois vifs. Mais chacun a pu défendre ses positions. Comme on pouvait s’y attendre, Mireille Chessa et Stéphan Brousse ne sont pas tombés d’accord quant à leur vision du monde du travail et de la société française. Ils ont promis de se retrouver, certainement sur d’autres fronts.
 
Sécurisation de l’emploi

Le Medef a signé l’accord avec des syndicats, dont la CFDT, mais pas la CGT. Pourquoi ?

Mireille Chessa : Une conférence sociale a eu lieu en juillet. On est passé un peu vite dessus mais elle a donné lieu à un bras de fer entre le Medef et les syndicats sur la question de la compétitivité. Dans les conclusions, le terme n'a pas été retenu. Mais, au final, on s’est retrouvé avec un texte de 70 pages dans lequel le patronat avait réintroduit la compétitivité. Et, pour la CGT, ce n’est pas un petit détail. Cet accord ouvre la voie à beaucoup de régressions, de déréglementations du droit du travail, c'est l'amorce de la fin du CDI. Il sera possible avec des accords d'entreprises de baisser les salaires pendant deux ans ou de diminuer le nombre d'heures travaillées. Ses signataires parlent improprement d'accord de « sécurisation » : trois jours après, Renault s'appuie dessus pour faire du chantage à l'emploi. Imaginez la situation dans les TPE sans organisation syndicale, c'est déjà la loi de la jungle!
Nous allons mener bataille pour permettre aux salariés -qui se sont prononcés majoritairement pour le changement- de prendre la question en main et d'intervenir sur le débat parlementaire.
Les organisations non-signataires sont plus représentatives des salariés que celles qui ont signé. Les parlementaires auront à s'en soucier.

Stéphan Brousse : La question fondamentale qui se pose c'est : faut-il réformer ce pays ? Le titre de l'accord « nouveau modèle économique et social » porte cette ambition. On se félicite que, pour une fois, le monde politique laisse la main au patronat et aux syndicats. Pourquoi y a-t-il eu un clash à la conférence de juillet ? Parce que la synthèse présentée par le Premier ministre n’était en rien conforme à la discussion. Pour le Medef, il fallait remettre les notions de compétitivité et de flexibilité dans le débat. Aujourd’hui, en France, ça devient presque impossible. Cependant, la CGT ou FO qui n'ont pas signé ont participé jusqu'au bout, ils n'ont pas quitté la table, c'est responsable de leur part. La priorité du président de la République c'est l'emploi, nous la partageons. Comment fait-on ? Ce que j’entends c'est que vous êtes représentatifs de ceux qui ont du travail et on ne se pose pas la question des 5 millions qui n'en ont pas.

Mais lorsque les syndicats parlent de partage du travail vous n'êtes pas d'accord...

S.B. : Le travail ne se partage pas. C'est une erreur majeure, c'est celle des 35 heures. Règle-t-on le problème de l'égalité et du niveau de vie en prenant aux riches pour donner aux pauvres ? Règle-t-on le problème de l’emploi en enlevant des heures de travail à ceux qui en ont pour les donner à ceux qui n'en ont pas ? Je réponds que ça ne marche pas comme ça. Le gâteau n’est pas figé, il faut le faire grandir en créant de la valeur ajoutée par l'investissement, l'innovation et la compétition à l'international. L’objet de l’accord est de supprimer la peur d’embaucher, c’est Michel Sapin qui l'a dit. Formidable d’entendre cette phrase dans la bouche d'un ministre du Travail de gauche. Beaucoup de PME sont en capacité de créer un ou deux emplois et ne franchissent pas le pas à cause des obstacles. Le CDI a une période d'essai trop courte et, par conséquent, les CDD se multiplient ce qui n'est pas acceptable. Cet accord apporte un vrai changement.

M.C. : Et pour les moins de 26 ans ? C’est pire que le CPE !

S.B. : Non ! L’accord dit que si on donne directement un CDI à un jeune on a droit à trois mois d’exonération de charges. Le jour où CGT et Medef signeront ensemble, nous gagnerons parce que le monde politique comprendra que c’est à nous de gérer nos affaires.

M.C. : Ce qui m’intéresse ce n’est pas ce que la CGT ou le Medef ont à gagner mais ce que les salariés ont à laisser. Quand on voit que les agences de notation ont applaudi la signature de cet accord...
Ça me déclenche un réflexe ! Pourquoi la compétitivité serait une donnée universelle ? Le travail n’est pas un coût, c'est lui qui crée la richesse pas les chefs d'entreprise. Sur le fond idéologique assumez cet accord, ne parlez pas de réforme mais de régression. C'est dans le droit fil des logiques de rentabilité financière qui ont conduit à la crise actuelle.

S.B. : La financiarisation, la mondialisation, ça ne veut rien dire. Ma PME, qui travaille dans 40 pays, a 18% de croissance. Bien sûr la concurrence c'est sanglant pour les chefs d'entreprise. 80% des patrons de PME ne distribuent aucun dividende alors arrêtons avec le CAC 40... Cet accord n'est pas un texte du Medef mais un compromis sur certains points difficiles à vendre aux chefs d'entreprise même si l'opposition de la CGT nous y aide. C’est un équilibre extrêmement fragile, on ne veut pas qu'il soit touché au Parlement.

Comment gère-t-on les situations en aval, avant que des salariés comme à Virgin ou Fralib se retrouvent sur le carreau ?

S.B. : Michel Sapin le dit lui-même, quand une entreprise est obligée de dégraisser pourquoi retarder l’inéluctable au risque de perdre davantage de postes ? Aujourd'hui, il faut faire un plan de sauvegarde de l'emploi, vous en avez pour un an ou deux... le temps que la boîte ferme. Cet accord donne de la souplesse en permettant de s'entendre sur du chômage partiel par exemple.

M.C. : Ça n’est pas applicable à Fralib !

S.B. : Les multinationales sont libres de leur implantation. A nous d'être attractifs. Bien entendu que celui qui a mis le capital veut un rendement, ne fait pas de social. Avec l'exemple terrible de Fralib, qui va venir s'implanter ici ? Quand à Virgin, les salariés perdent leurs emplois mais l'actionnaire perd sa mise. Quand on parle investissement c'est toute la question du financement qui est posée.

Êtes-vous pour une maîtrise publique du secteur bancaire ?

S.B. : Surtout pas ! Néanmoins le gouvernement va dans le bon sens avec la banque publique d'investissement qui répond à un besoin des PME.

M.C. : Il faut un contrôle beaucoup plus strict des incitations fiscales et des aides aux entreprises qui sont aujourd'hui pour beaucoup sans contrepartie.

Le travail dominical

A quoi faut-il attribuer l’échec de l’ouverture des boutiques à Marseille le dimanche ?

S.B. : L’important est d’abord de tirer le bilan de la loi à laquelle j’ai activement participé. Je rappelle qu’elle repose sur la base du volontariat, qu’elle comporte un volet d’augmentation des rémunérations, ainsi que l’octroi d’une journée de repos.
Il faut être dans l’air du temps, comme l’ont compris les organisations syndicales qui ont signé. Le combat mené pour la fermeture dominicale me semble totalement désuet. A Plan-de-Campagne, chacun s’accorde à reconnaître que cela a contribué à sauver 1 000 emplois. C’était donc un bon accord et je regrette que la CGT ne l’ait pas signé, comme cela est le cas en général de cette organisation. Cependant, je reconnais qu’à Marseille, c’est compliqué pour l’instant mais je ne doute pas que cela marchera.

M.C. : Vous devriez mieux vous informer et savoir que la CGT est le syndicat qui signe le plus d’accords. Mais pour en revenir à ce qui nous intéresse, c’est un fait que cela ne fonctionne pas à Marseille. En cherchant à vouloir vous convaincre du contraire, vous pratiquez la méthode Coué. Sans voir que la régression du pouvoir d’achat n’incite pas à la consommation. Du point de vue des salariés, c’est un autre rythme de travail que vous voulez imposer. Et pourquoi pas, dans cette logique, instaurer le travail de nuit ? En jouant sur une augmentation des rémunérations, vous reconnaissez implicitement que les patrons paient mal les salariés.

S.B. : Je pense que dans ce pays, on manque cruellement de souplesse. Regardez aux Etats-Unis, on peut tout acheter 24 heures sur 24.

M.C. : Nous, ce que nous constatons, c’est que vous n’obéissez qu’à votre propre logique. Celle du profit maximum. La logique de votre classe. Savez-vous qu’un récent sondage a révélé qu’une très grande majorité de Français pensent que la lutte des classes est plus que jamais d’actualité ?

S.B. : Ne venez pas nous parler de lutte des classes. Il y a longtemps qu’on n’est plus dans la lutte des classes. Il faut évoluer par rapport à cette mentalité.

M.C. : Est-ce que vous venez à Marseille de temps en temps, pour voir comment les gens y vivent, quel est le taux de pauvreté, de précarité ? Et quelles sont leurs inquiétudes par rapport à l’emploi, au chômage ? Alors, plutôt que le travail du dimanche, ce que la CGT réclame avant tout, c’est la relance d’une vraie politique industrielle et nous ne cessons de demander, depuis plus de 15 ans, que les patrons investissent pour transformer et adapter leurs unités...

Métropole

Pour l’attractivité du territoire le patronat n’a qu’un mot à la bouche : la métropole. Pourquoi ?

S.B. : On ne dit pas que c'est la solution miracle mais face à ce millefeuille inextricable la métropole a l'avantage d'inscrire le territoire dans une dimension comparable à d'autres capitales européennes. Après on peut discuter des compétences : transports, logement, économie, développement à l’international. Nous pensons que la métropole est un formidable cadeau que le gouvernement de gauche ferait à notre territoire. Les guéguerres de clocher ne débouchent sur rien c'est pour ça qu'il faut une loi.

Le monde économique a-t-il des vues sur la gouvernance ?


S.B. : Il faut raisonner en termes de projets et pas d'institution mais le monde économique ne va pas se mettre à faire de la politique. Il doit en revanche participer. MP2013 en est un exemple. Le leadership est donné au monde économique mais pour autant ce n'est pas lui qui fait la capitale européenne de la culture mais l'ensemble du territoire et des institutions. On sentait bien que si on avait mis Maryse Joissains, Jean-Claude Gaudin et Jean-Noël Guérini, ça ne l'aurait peut-être pas fait. On a servi de liant et c'est bien ça notre objectif : privilégier le résultat et pas le pouvoir pour le pouvoir.

M.C. : Je pense que vous avez d'autres visées. Il y a une réforme de l'État, l'acte III de la décentralisation qui prévoit une métropole. Le Premier ministre a enfoncé le clou tant qu'il a pu lors de ses vœux à la culture mi-janvier. La métropolisation est présentée comme un moyen de se coordonner, d'être plus solidaires mais ce qu’on ne dit pas c’est qu’elle va ouvrir un énorme marché aux entreprises privées dans des missions actuellement remplies par le service public. Les délégations de service public sur les déchets par exemple sont potentiellement immenses. Il faudrait y regarder de plus près pour comprendre pourquoi le Medef 13 et certaines organisations syndicales se sont tant battus pour la métropole. Je pense aussi à l'offre de soins en Paca qui représente 18 milliards, c’est autant que le BTP, je comprends que ça déclenche des convoitises. Mais par ailleurs, sur les transports, je suis effarée que, depuis des années, on consacre 93% des crédits pour la route, il faut faire fonctionner une autorité organisatrice des transports. Mon organisation est opposée à ce projet en toute indépendance vis à vis de l'action des maires.

S.B. : Mais les intérêts politiques des uns et des autres bloquent tout depuis des années !

M.C. : Avant d'annoncer la métropole, le Premier ministre a dû regarder les rapports de force politiques.

S.B. : Si c’était ça, ça serait grave mais vous devriez être favorable au fait qu’elle soit plutôt à gauche qu'à droite ou alors je n'ai pas compris la ligne de la CGT.

M.C. : Non vous ne l’avez pas comprise, elle est indépendante.

S.B. : C’est un scoop !


La charte ville-port

Théâtre d’oppositions entre patronat et CGT, le port semble à travers ce document devenir aujourd’hui un sujet de consensus. Quel est votre lecture du document ?

S.B. : Tout ça va dans un très bon sens. Et Dieu sait qu’on s’est battu, chacun de son côté. Au final, c’est le port de Marseille qui a perdu ! Cette fois, la logique est complètement différente : dans cette grande filière portuaire, chacun avec ses compétences, nous sommes d’accord pour dire qu’il fallait plus d’investissements. Il y a eu 450 millions sur les deux terminaux de Fos, les investissements reviennent. Il fallait également une reprise du trafic. Il a augmenté de 13% cette année avec 1 million de conteneurs et l’ambition est de doubler pour 2015. Enfin, on affiche des objectifs chiffrés de progression ! Quant à l’équilibre sur les bassins Est et Ouest, on est maintenant tous d’accord et c’est écrit dans la charte : il faut maintenir de l’emploi industriel et pas en faire une marina. Les compteurs sont plutôt bons aujourd’hui et le Grand port maritime de Marseille (GPMM) arrive à convaincre de sa fiabilité. Il reste à persuader les chargeurs étrangers et les armateurs d’y revenir. Nous y croyons. Le business ce n’est que de la confiance.

M.C. : La CGT n’est pas signataire. Et ce n’est pas parce que c’est écrit dans la charte que les bassins Est sont à égalité avec les bassins Ouest. On est très préoccupé par son contenu. Notamment la question des déplacements sur le nord et les réaménagements, doublés par le projet Euromed, c’est mal pensé. La gare du Canet par exemple : qui va payer ? Le Port ou l’Etat. La CGT propose que ce soit le GPMM.

S.B. : Mais le vrai problème, c’est que la bombe à retardement du port, c’est la SNCM.

M.C. : La direction est allée déposer un carton pour répondre à la DSP sur la Corse dans lequel elle a mis 4 cargos. Et zéro ferry sur Marseille. Le mauvais scénario n’est donc pas écarté. Si tous les ferries vont au low-cost, on va à la boucherie. N’est-ce pas à l’Etat de garantir la continuité territoriale ?

S.B. : Oui, mais avec Toulon, elle est garantie.

M.C. : En ne se positionnant pas sur Toulon, la direction de la SNCM a fait un choix et le gouvernement a laissé faire.

S.B. : Il est actionnaire. Vous avez voulu qu’il le reste, il l’est.

M.C. : Mais Dufour, [président du directoire de la SNCM, ndlr] il ne s’en sortira pas les fesses propres, je vous le dis. Et on le démasquera.

S.B. : Si j’étais actionnaire de la SNCM, il y a longtemps que je serais parti parce qu’une entreprise qui ne fait que des pertes, je ne vois pas l’intérêt. Elle est sur le même trafic que Corsica ferries qui gagne de l’argent.

M.C. : Ils ne sont pas sous le même pavillon, il y a dumping social. Moi, je regarde l’intérêt des salariés, pas l’économie.

S.B. : Faites-moi plaisir, avouez que vous êtes satisfaite du retour des conteneurs sur le GPMM.

M.C. : Oui, mais avec prudence car, dans les comptes, il semble que pour atteindre un million, il y a eu un petit tour de passe-passe.

Propos recueillis par Léo Purguette, Gérard Lanux et Myriam Guillaume
La combattante et le fonceur

Mireille Chessa, première femme à diriger l’Union départementale des Bouches-du-Rhône, est à la tête d’une des plus grandes places fortes de la CGT avec plus de 36 000 adhérents. Fille de boulanger communiste, elle plonge dans le syndicalisme ses 17 ans à peine sonnés et démarre une carrière à La Poste où, déjà, elle donne le ton aux luttes. Mireille Chessa n’est pas de ceux qui mâchent leurs mots, mais elle les pèse. Peu impressionnable, elle mène ses combats auprès des salariés dans la pure tradition anarchosyndicaliste de la CGT... sans jamais rien lâcher.

Stéphan Brousse
, désormais patron du Medef Paca et conseiller spécial TPE-PME auprès de Laurence Parisot, c’est en cinq ans de mandat à la tête de l’UPE 13 que ce chef d’entreprise marseillais s’est imposé comme une figure incontournable du monde économique local. Avec un sens de l’engagement émergé de son passage chez les Jésuites, c’est dans une filiale parisienne de l’entreprise familiale d’importation de fruits secs qu’il fait ses armes. Il transforme l’entreprise familiale en holding et crée sa propre boîte qui compte aujourd’hui 18 salariés.

Article paru dans La Marseillaise du lundi 28 janvier 2013

Tag(s) : #Société
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