2012 : et si le monde du travail s’en mêlait ?
Humanité Quotidien
26 Octobre, 2011
Front de Gauche
Pour le Front de gauche, l’irruption du mouvement citoyen et syndical dans la campagne est la condition d’un vrai changement en 2012. Un sacré défi à
relever, à l’heure où le fossé entre salariés et politique s’est creusé dans les entreprises.
L’image est frappante. Mardi, autour de la table et des micros dressés dans la cour de la gare d’Austerlitz, impossible de tracer une ligne de démarcation
nette, dans les interventions, entre ce qui relève des engagements syndicaux ou politiques des uns et des autres. « La politique nous intéresse ! » lance Yann Cochin, syndicaliste à
Solidaires chez EDF. C’est toute la spécificité de la démarche engagée par le Front de gauche à l’origine de la création d’un « Front des luttes » : renouer le lien qui s’est distendu
entre mouvement social et politique après les déceptions nées des expériences de la gauche au gouvernement, explique le syndicaliste cheminot Didier Le Reste. « Cet éloignement s’est
avéré préjudiciable au rapport de forces et au monde du travail. Avec le Front des luttes, nous voulons recréer des passerelles, confronter les expériences et chercher des convergences
pour trouver des issues à la crise, dans le respect de l’autonomie des uns et des autres », poursuit-il, devant cent à deux cents salariés. Autour de lui, Jean-François Téaldi,
syndicaliste CGT à France Télévisions, Éric Coquerel, responsable du Parti de gauche, et Marie-George Buffet, députée communiste, qui coordonne ce Front des luttes, déroulent le même
fil.
Une démarche qui s’illustre d’ailleurs dans tous les déplacements du candidat du Front de gauche à la présidentielle. Comme ce lundi 12 octobre, dans le
petit local aux portes de l’usine Fonderie du Poitou Alu, assis autour de la table sur laquelle trône le « plan de compétitivité » cher à la direction. Jean-Luc Mélenchon écoute,
interroge, dialogue avec les responsables de l’intersyndicale. La visite du candidat à la présidentielle ne s’effectue pas au pas de course dans cette usine en grève. C’est d’ailleurs
devenu un rituel pour lui, comme pour l’ensemble des leaders du Front de gauche : les déplacements dans les entreprises privées ou publiques se veulent un moment de réflexion collective
avec les salariés, et avec les syndicalistes en particulier. On joue cartes sur table, sans tricherie ni instrumentalisation.
« Se rencontrer et s’enrichir mutuellement »
« Nous sommes, nous aussi, force de propositions auprès des politiques qui, bien souvent, sont très éloignés de nos réalités et ne savent pas précisément ce
que nous voulons », soutient Alex Jamain, représentant CGC à la Fonderie du Poitou Alu. « Nous n’avons pas à confronter nos propositions avec celles des politiques, mais à travailler
ensemble », poursuit celui qui se définit d’emblée comme socialiste. Mais le Front de gauche a l’ambition de créer une nouvelle relation avec le mouvement social plutôt que de regarder
les étiquettes partisanes des syndiqués. « Les temporalités sont différentes, néanmoins il faut aussi savoir se rencontrer et s’enrichir mutuellement. Il ne peut y avoir de hiérarchie
entre nous », explique Yann Cochin, au nom du Front de gauche des luttes. Mais au-delà du soutien ou de l’appel à voter pour les candidats de l’alliance en 2012, ces militants syndicaux
ont accepté d’en être à condition toutefois de devenir, eux aussi, « acteurs et actrices de la politique du Front de gauche », mesure Marie-George Buffet. « On leur demande d’être les
initiateurs du débat politique à gauche, au sein des entreprises. Ils ont aussi compris que nous voulons vraiment que le programme soit amélioré par eux et que le projet soit le fruit des
personnes engagées dans les luttes sociales », précise-t-elle.
« Passer de la défensive à l’offensive »
Il reste que le Front de gauche est loin d’avoir vaincu les réticences qui existent parmi bon nombre de syndicalistes et de salariés, notamment sur ses
propositions, souvent estimées irréalistes. « Jean-Luc Mélenchon a raison sur le fond. Mais c’est dommage que ce qu’il propose soit extrême par rapport à la réalité des faits
d’aujourd’hui », dit Alex Jamain (CGC). Lequel indique qu’il s’exprime à titre personnel, comme s’il fallait peser ses mots dès lors qu’il s’agit des relations entre syndicats et
partis.
Défiance et méfiance continuent à être ancrées dans les mœurs. Cela vient de loin : « Alors que la question de l’alternative politique se pose en
articulation avec les luttes pour espérer passer de la défensive à l’offensive, le syndicalisme, depuis plusieurs années, a pris sa distance avec le politique. Le bilan tiré de l’époque
de la subordination au politique, et les déceptions laissées par les gouvernements de gauche ont renforcé cette distance », explique Claude Debons, syndicaliste à la CGT, ancien
secrétaire général de la fédération générale des transports CFDT. En parvenant à s’allier à de nombreux syndicalistes de la CGT, de la FSU ou de Solidaires, le Front de gauche semble
désormais sur la voie d’une relation mutuellement avantageuse avec les organisations syndicales. Le chemin demeure certes semé d’embûches, mais l’union qu’a su créer le Front de gauche
donne de « l’espoir », selon Yann Cochin.
Mina Kaci et Sébastien Crépel