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Idées - Tribune libre - Histoire - Article paru le 29 décembre 2009 dans l'Humanité


Tribune & idées Histoire

Comprendre les « économies-mondes »

L’Histoire économique globale, de Philippe Norel. Éditions du Seuil, 2009, 264 pages, 20 euros.

Histoire globale, mondialisation et capitalisme,dirigé par Philippe Beaujard, Laurent Berger, Philippe Norel. Éditions La Découverte, 2009, 512 pages, 32 euros.


Exploitant l’expérience de la mondialisation d’aujourd’hui, l’histoire économique globale se distingue de l’histoire économique classique en ce que son champ d’étude est d’emblée planétaire. Elle vise à établir les connexions de longue durée qui ont lié entre eux régions et continents souvent fort éloignés les uns des autres. Elle met donc l’accent sur les échanges commerciaux, les contacts culturels, particulièrement en ce qui concerne la culture matérielle, les influences et transferts dans l’espace et leurs variations dans le temps. Sensible aux contraintes géographiques et aux inventions techniques dans les transports et le maniement de la monnaie, elle décèle la mise en place d’« économies-mondes » successives, systèmes de relations organisés à partir d’un centre avec une périphérie dominée s’exerçant pendant plusieurs siècles et embrassant plusieurs milliers de kilomètres. La République de Venise du XIIe au XVIe siècle en est l’exemple célèbre, qui, pour son plus grand profit, drainait des produits de luxe venus de l’Extrême-Orient et les diffusait vers la mer du Nord. À travers ces constructions, soutenues par des diasporas marchandes, se crée peu à peu, mais surtout à partir du XVIe siècle, ce qui va être sous hégémonie britannique au XIXe siècle, le système capitaliste, et se sont développés les éléments de l’accumulation primitive du capital préparant la révolution industrielle.

Inspirée en partie de Fernand Braudel, n’oubliant pas Marx, cette recherche est active depuis 1980, principalement en Angleterre et aux États-Unis. Immanuel Wallerstein en est, pour le public français, un des porte-parole. Le livre de Norel en constitue un abrégé substantiel et clair, le second ouvrage, avec seize auteurs, en précise divers aspects, tels le rôle de l’océan Indien dès avant les Portugais et les Hollandais des XVIe-XVIIe siècles et avant l’ouverture de l’Atlantique après le XVe siècle, ou la montée et les ratés de la financiarisation mondiale transcendant au XXe siècle les États-nations avec l’abandon de l’étalon-or en 1971 et l’écroulement de l’URSS. Portée en France surtout par des anthropologues et des économistes, cette démarche a entre autres mérites de nous sortir de notre européocentrisme traditionnel pour considérer que, dès la Mésopotamie d’Uruk au troisième millénaire avant Jésus-Christ, on commerçait avec l’Indus, ou que la Chine a été longtemps en avance par rapport à l’Occident, ou que l’Europe, à partir des grandes découvertes, a beaucoup emprunté à l’Orient et lui doit bonne part de sa fortune. Des questions demeurent cependant chez le lecteur  : ainsi le poids de la ruralité ou des systèmes démographiques anciens ou les structures féodales n’ont-ils pas fortement limité la portée des connexions globales  ? Mais le propre de toute réflexion nouvelle est heureusement de ne pas avoir réponse à tout. La conscience de la mondialisation fait effectivement progresser l’historiographie.

Guy Lemarchand, historien

Tag(s) : #Economie
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