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« Avec lui, il y a eu une et non des Résistances »

 

 « Jean Moulin n’est pas le héros de la Résistance façon James Bond » Photo DR
« Jean Moulin n’est pas le héros de la Résistance façon James Bond » Photo DR
2013 marquant le 70e anniversaire de la mort du Biterrois Jean Moulin, l’historien Jean-Pierre Azema, spécialiste de cette période, a donné une conférence à Pierresvives, à Montpellier.
J-P Azéma vient d'animer une conférence à Montpellier sur Jean Moulin. Né à Béziers d’un professeur d’histoire le 20 juin 1899, devenu, en 1925, le plus jeune sous-préfet de France, Jean Moulin préfet va être révoqué par Vichy. Devenu résistant, victime d’une trahison, il sera arrêté par la Gestapo et torturé. Il mourra le 8 juillet 1943, sans avoir parlé.

Il y a 70 ans, mourait Jean Moulin. La France prévoit-elle de commémorer cette date ?
Je ne suis pas dans le secret des dieux… Je pense que ce sera commémoré, oui. D’autant plus que l’an prochain on commémorera le déclenchement de la guerre de 1914. On s’occupera plus de la Grande Guerre que de la Seconde. C’est une raison supplémentaire pour qu’en 2013 on commémore à la fois la chute de Jean Moulin et sa mort, et la réunion le 27 mai 1943 du Conseil national de la résistance, qui va devenir le CNR. Ce sont deux événements majeurs. Jean Moulin était à la fois le représentant de De Gaulle et même commissaire national, au même rang que ministre, et d’autre part il avait la casquette de patron de la Résistance intérieure. Avec la réunion du Conseil national de la Résistance, va se maintenir cette pratique essentielle : il y aura une et non des Résistances. Et donc fort peu de risques de guerre civile dans la mesure où, en mai 1943, il n’y a pas un développement encore très grand des maquis, ni un développement de la Résistance armée. Par conséquent il n’y a pas cette espèce de clivage qu’il va y avoir dans d’autres pays, comme en Yougoslavie, avec ensuite les conséquences de la guerre civile au moment de la Libération.

Pourquoi est-ce que Jean Moulin, préfet et intellectuel, a fini par incarner la Résistance, alors que celle-ci fut un mouvement beaucoup plus ample, populaire et profond ?
D’abord Jean Moulin n’est pas un intellectuel, ni un idéologue, c’est un préfet, c’est à dire un homme de pouvoir, qui doit gérer les affaires publiques. Ce qui importe, c’est qu’il va à la fois être un intermédiaire entre la Résistance extérieure, en gros la France libre, et d’autre part la Résistance intérieure, les mouvements de Résistance. Lorsque vous parlez d’un mouvement populaire, le résistant de base ne connaît pas Jean Moulin, et pour cause, ce sont des gens qui ne doivent pas être connus. Tous les enjeux se jouent entre ce que j’appelle volontiers la Haute société résistante, la HSR, c’est à dire les responsables des mouvements de Résistance et Jean Moulin. Le résistant de base se moque tout à fait des différends entre Jean Moulin et la Résistance, c’est cela qu’il faut bien comprendre. Il n’y a rien de populaire. D’ailleurs la Résistance est tout sauf démocratique. Elle est dirigée par une minorité.

Pourquoi Jean Moulin est-il resté la figure de proue de la Résistance dans la mémoire collective ?

C’est vrai que sa mémoire a surnagé, il n’y a pas eu de véritable traversée du désert. C’est le résultat de la rencontre de la mémoire des groupes, des préfets, la mémoire locale, surtout à Chartres et à Béziers, avec la mémoire officielle. A la fois De Gaulle et la panthéonisation (1). Puis Mitterrand va s’y intéresser d’extrêmement près, en particulier en 1983, qui fut une année très commémorative pour la mémoire de Jean Moulin. Paris Match titre alors : « Enterré gaulliste, Jean Moulin ressuscite socialiste ».

Jean Moulin a-t-il vraiment unifié la Résistance ou alors a-t-il eu plutôt le rôle de donner du poids à de Gaulle qui était à l’étranger ?

Il l’a unifiée, c’est exact : les partis politiques, les mouvements de Résistance, les centrales syndicales, ce qui n’est quand même pas rien. Jean Moulin est mort gaulliste, c’est à dire qu’il a fait le pari que l’homme qui avait le plus de chance de sortir la France du pétrin après la débâcle, c’était Charles De Gaulle.

Dans quel but Jean Moulin a-t-il été trahi et dénoncé en 1943 ?
Il est tombé comme beaucoup de résistants sont tombés. Parce que les Allemands l’ont traqué, parce qu’il y a eu des traîtres. Il y a eu au moins un traître. Les services de sécurité du Reich ont « retourné» un résistant qui a fait tomber je ne sais combien de ses camarades, et au bout de la chaîne, il y a eu Jean Moulin. René Hardy (2) est coupable parce que c’est une sorte de poisson-pilote, qui va amener les Allemands à Caluire chez le docteur Dugoujon, mais il y a un responsable, Guillain de Bénouville, qui a accepté que René Hardy, qui avait déjà été arrêté, donc était suspect, se rende à Caluire. René Hardy est coupable, de Bénouville est responsable.

Jean Moulin serait tombé du fait d’une dissension entre deux courants de la Résistance, représenté par Moulin, et Combat d’autre part, farouchement anticommuniste et atlantiste
Non… Combat était pro-américain parce qu’il s’appuyait sur les Etats-Unis pour avoir de l’argent et un certain nombre de moyens que Moulin cadenassait un petit peu. Jean Moulin menait tout ça de manière très autoritaire, donc il y a deux logiques, mais ça n’a rien à voir avec l’atlantisme. Cela a à voir avec le fait que les résistants de Combat étaient anti-gaullistes. C’étaient des gens qui estimaient qu’ils étaient autonomes, qu’ils pouvaient même aller regarder du côté de ce qui se passait chez les Américains. De Gaulle lui, pensait que les résistants devaient lui obéir non seulement militairement mais politiquement.

Et donc Jean Moulin aurait été victime de cette divergence de logiques ?

C’est vrai.

Savez-vous où à Montpellier et par qui la fameuse photo de Jean Moulin avec le Borsalino a été prise ?
Oui. Elle a été prise par Marcel Bernard, au jardin du Peyrou. Ce qu’il faut surtout dire, c’est qu’elle n’a pas été prise pendant la Résistance mais en novembre 1939. Donc Moulin n’est pas le héros de la Résistance, façon James Bond. Elle a commencé à avoir un rôle très important lors de la panthéonisation, parce que cette photo avait été déployée sur le Panthéon. Elle est maintenant pratiquement sur tous les manuels scolaires.
Entretien réalisé par Catherine Vingtrinier

(1). Les 18 et 19 décembre 1964, les cendres de J. Moulin furent transférées au Panthéon.
(2). NDLR: Après la Libération, il sera par deux fois jugé et innocenté.

Article paru dans La Marseillaise du lundi 11 février 2013

Tag(s) : #Histoire
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