Souffrance au travail : Nouveau suicide à France Télécom !
Besançon (Doubs), correspondance particulière.
Nicolas, vingt-huit ans, est venu s’inscrire sur un bien sinistre tableau noir. Il est le vingtième salarié de
France Télécom à se suicider depuis février 2008. Le jeune technicien, contractuel à l’unité d’intervention technique de Besançon (Doubs), a mis fin à ses jours mardi matin. Un geste désespéré,
inadmissible pour ses 150 collègues réunis hier dans la cour de l’entreprise pour un ultime hommage. « C’est trop dur », déclare un collègue. Personne n’entend s’étendre sur les
raisons de ce geste insensé par respect pour sa famille mais, à demi-mot, on perçoit leur colère : « Ils sont en train de bousiller des vies ». Le « Ils », ce sont les
dirigeants de France Télécom montrés du doigt par l’immense majorité des personnes présentes ce mercredi matin. Dans le petit local de la FAPT-CGT, Thierry Andrey, secrétaire du CHSCT qui
connaissait bien Nicolas, exprime, la larme à l’oeil, son indignation : « Un euro et soixante centimes ! C’est le dividende promis par action à chaque actionnaire, ce foutu
chiffre, fixé par notre PDG, qui fait que des salariés de l’entreprise se rendent malades à en mourir. Et pour cela, pas de secret : ce sont les salariés de la boutique qui iront chercher
ces surplus financiers et peu importe comment pour la direction. Enfin si, elle demande à ses cadres de générer des gains de productivité. Faire travailler plus les salariés et en faisant
abstraction de toutes les contraintes. Il vaut mieux être actionnaire de France Télécom que salarié. »
« Ici, tout se chiffre en euros… »
C’est ainsi que Nicolas - comme tous les membres de son unité - s’est retrouvé depuis quatre semaines en astreinte « orages », ennemi naturel d’une ligne téléphonique. Le régime est
sévère, 48 heures de travail minimum par semaine et surtout ne pas se plaindre. Les plaintes, c’est les coups de gueule que l’on pousse quotidiennement à l’annonce de la charge de travail
imposé par son supérieur hiérarchique. « Le matin à 8 heures, ça hurle dans tous les couloirs, peste un salarié. Les salariés n’en peuvent plus. On leur demande l’impossible, et cela
Nicolas l’a enduré. Pas de voiture, des temps d’intervention calculés à la seconde, plus de repas pris en charge et tout cela pour ramener une facture et peut importe le résultat de
l’intervention. Ici, tout se chiffre en euros, non plus en satisfaction du client. »
« Les endurcis résistenT, Mais pour combien de temps ? »
Nicolas est entré dans l’entreprise comme technicien en électricité. Une activité que France Télécom a souhaité sous-traiter en décembre dernier. Peu de choix pour Nicolas : rejoindre le
sous-traitant choisi par France Télécom ou changer de métier à l’intérieur de l’entreprise. Il est donc devenu, après un mois de formation, membre d’une unité d’intervention chez les
particuliers. « Cette mutation a été un premier combat à mener pour Nicolas, précise Thierry Andrey. Il a fallu l’intervention des syndicats pour y parvenir sinon il se retrouvait sur une
plate-forme téléphonique. » Des situations que vivent de plus en plus mal les 160 salariés de la plate-forme de Besançon, avec encore des suppressions de postes annoncées pour cette
année : « Sur la Franche-Comté, il devrait y en avoir environ une centaine sur 1 200 salariés, fonctionnaires ou contractuels, en 2009, s’indigne le cégétiste. Chaque secteur qui
disparaît, c’est autant de charges qui reviendront aux unités restantes. Et évidemment ça explose ! On ne peut pas indéfiniment demander l’impossible aux salariés et on peut mettre en
place toutes les aides psychologiques que l’on veut, le mal-être au travail est devenu une généralité à France Télécom. Les endurcis résistent encore mais pour combien de temps ? Rien
qu’ici, il y a une dizaine de personnes qui sont dans le même état psychique que Nicolas. Le mois dernier, c’est un collègue de Montbéliard qui a fait une tentative de suicide après l’annonce
d’un énième changement de ses conditions de travail. Cela devient aberrant et dramatique. Il y a une vraie souffrance de la part des salariés. Les médecins du travail ont tiré le signal
d’alarme à plusieurs reprises. »
La direction a dépêché sur place une cellule psychologique, une aide ponctuellement nécessaire pour des salariés
particulièrement choqués par la disparition brutale de leur collègue. Chez France Télécom, rue Gay-Lussac à Besançon, le travail a repris, mais la douleur demeure.
Alain Cwiklinski
Notre dossier Souffrance au
travail