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Société - Article paru le 27 novembre 2008 dans l'Humanité

 

Le bois où meurent les sans-abri !

Exclusion . Avant même le début officiel de l’hiver, le compteur des décès est enclenché. Dans le bois de Vincennes, trois personnes ont été retrouvées mortes en un mois. Témoignage.

« Y en a marre des journalistes ! » Comme à chaque réapparition du froid, les objectifs se tournent vers les sans-domicile. Après la découverte d’un troisième corps sans vie dans le bois de Vincennes (Paris 12e), le quatrième en un mois dans la région parisienne, pouvoirs publics, médias et associations s’agitent, réagissent ou tirent la sonnette d’alarme. Un phénomène que Régeo ne cautionne plus. Juste avant de se recueillir devant l’abri de fortune de son copain Francis, retrouvé mort samedi dans sa tente au bois de Vincennes, il a envoyé sur les roses deux journalistes venus l’inter- viewer.

« Cela fait cinq ans que je suis ici et chaque hiver, avant les fêtes, on nous fait causer devant les caméras. Ça ne sert à rien, ça ne m’a pas fait avancer d’un pouce », s’emporte-t-il. Régeo fait partie des cent cinquante à deux cents personnes qui ont élu domicile dans le bois. Agacé par ce qu’il considère comme « la concurrence que se font les associations », c’est aux responsables politiques qu’il voudrait maintenant parler. « Puisqu’on fait semblant de nous écouter, il n’y a qu’à se révolter, comme les jeunes dans les cités », suggère - Régeo.

« On m’a volé ma seule paire de chaussures »

Régeo a choisi le bois de Vincennes parce que, « sur les trottoirs de Paris, il est difficile de poser sa tente ». À l’écart des voies principales, des dizaines de tentes ou d’abris surgissent de la végétation. Parfois, des branches ou du fil de fer font office de clôture. Comme pour se protéger des curieux. C’est un cabanon que Régeo a confectionné, baptisé « la maison du bonheur ». Sur la porte, l’inscription suivante : « Savoir se contenter de ce qu’on a, c’est être riche. » À l’entrée de la « propriété » flotte un drapeau helvétique. « Je l’ai mis au moment où Johnny demandait la nationalité suisse (belge, en réalité - NDLR) au cas ou il passerait me voir », raconte-t-il avec ironie. Régeo a trois « voisins » et un chat.

Comme beaucoup de ses compagnons de galère, il a renoncé aux centres d’hébergement. Les raisons sont connues : manque d’hygiène, vols, bruit, violences et remise à la rue dès les premières heures du jour. « Une fois, j’ai appelé le 115. Ils m’ont amené au centre de Nanterre. Une ancienne prison ! On m’a volé ma seule paire de chaussures. Ils n’en avaient rien à foutre. Ils m’ont viré à 7 heures, pieds nus », témoigne-t-il.

Chômage, loyers impayés, expulsion

Le parcours de Régeo est, hélas, des plus classiques. « Je me suis retrouvé au chômage et je ne pouvais plus payer mon loyer. J’ai été viré de mon logement. Avant de tomber dans la rue, j’ai frappé à beaucoup de portes mais je n’étais pas encore assez bas pour avoir de l’aide. » Aujourd’hui, si on lui proposait « un mobile home ou une caravane sur un terrain », Régeo accepterait, sans hésiter. Contredisant ainsi les idées reçues sur les SDF qui ont soi-disant choisi de vivre en marge de la société.

Avec son cabas à roulettes, il va faire des provisions dans les commerces de Charenton-le-Pont (Val-de-Marne), à quelques centaines de mètres de son antre. « Je paye mon bout de viande avec le RMI. » Parfois, le passage en ville laisse un goût amer. « Les commerçants savent d’où on vient et ils ne nous aiment pas. » En sortant d’un bar où il venait de prendre un café, Régeo entend un client lâcher : « Les clochards, c’est comme les Arabes, il faudrait tous les tuer. »

Racisme, discrimination et stigmatisation

Une autre fois, c’est accusé à tort de vol dans un commerce qu’il s’est mis « en slip » dans le bureau du directeur. « Ils se sont excusés mais c’était trop tard, les petites mamies qui ont vu les vigiles m’accuser étaient déjà parties. » Racisme, discrimination et stigmatisation semblent être plus insupportables à Régeo que les degrés en dessous de zéro.

Bien qu’ils affirment être suffisamment équipés en couvertures, le sans-abri et ses collègues pensent quelquefois au pire. « C’est le deuxième qu’on retrouve mort et ce n’est sûrement pas fini. » En effet, quelques heures après, le décès d’un troisième sans-abri était annoncé. Dans le seul bois de Vincennes.

Ludovic Tomas

Tag(s) : #Société
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