ANRU. « Ces promesses non tenues rendent la situation
explosive »
Philippe Vignaud, architecte et urbaniste, auteur de la Ville ou le chaos, réagit au rapport du comité d’évaluation de l’ANRU.
Que vous inspire le rapport de l’ANRU ?
Philippe Vignaud. Le rapport de Yazid Sabeg est, à juste titre, très dur avec le plan Borloo. Je suis très inquiet sur la capacité de l’État à faire face à ses engagements. L’ANRU a lancé des
projets sans en évaluer vraiment les montants. De plus, on n’a tenu aucun compte des plus-values, de la hausse des prix de la construction, des investissements nécessaires au respect du
Grenelle de l’environnement (pour économiser sur le long terme, il faut dépenser immédiatement plus d’argent)… Si bien qu’on se retrouve aujourdavec un coût des opérations qui dépasse de
20 % les enveloppes initiales. Les 8 milliards d’euros engagés à l’origine n’ont jamais été réévalués. Cela confirme ce que j’avais déjà dit à plusieurs reprises : l’ANRU rend
fou.
À partir de ce constat, peut-on craindre des conséquences directes sur les projets en cours ?
Philippe Vignaud. Certaines opérations ne se feront pas. Je ne vois pas le secteur privé prendre spontanément le relais du public. On est plutôt dans une dynamique où l’État vient prendre sa
part dans l’échec libéral actuel. Il y a des programmes urbains engagés qui pourraient ne pas être financés jusqu’à leur terme. Des projets dont les conventions sont signées ne verront pas tous
leurs programmes réalisés, alors que les maires signataires ont commencé à associer la population des quartiers à ces projets. Que l’État ne soit pas capable de tenir sa parole et de venir
boucler les tours de table, ce serait un énorme scandale. On serait en droit de demander des comptes à Jean-Louis Borloo. On l’a vu partout promouvoir l’ANRU, et tellement promettre. Nous
avons, depuis, attiré son attention plusieurs fois sur cette situation tendue. Il ne peut pas ne pas réagir. Ce serait indécent.
Une situation d’autant plus inacceptable qu’il s’agit de quartiers en déshérence…
Philippe Vignaud. Paradoxalement, ce sont les quartiers les plus pauvres qui risquent de subir les conséquences de cette carence. Des territoires en souffrance, qui cumulent toutes les
difficultés. Ne pas concentrer aujourd’hui des efforts particuliers sur ces quartiers serait profondément injuste et discriminant. Même si l’urbain ne peut pas tout régler, au moins, dans cette
direction, on peut agir. Et on s’aperçoit aujourd’hui que nous ne serions même pas capables d’aller jusqu’au bout d’un plan pourtant insuffisant et qui manque d’ambition. Dans quelle situation
de précarité va-t-on laisser ces quartiers ? Ne pas aller au bout de cette démarche laisserait des populations dans des chantiers, dans des promesses déçues. C’est
explosif !
La Ville ou le chaos, de Philippe Vignaud. Éditions Non Lieu. 2008. 166 pages. 15 euros.
Entretien réalisé par Dany Stive