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Politique - Article paru le 8 juillet 2008 dans l'humanité

Le capital a le moral (2/5)

La planète va (schum) péter

Rapacité des fonds d’investissement, vandalisme industriel, gloutonnerie des actionnaires, intempérance des dirigeants de multinationales, goinfrerie énergétique, brigandage sanitaire, spéculation meurtrière sur les denrées alimentaires… Le monde court à sa ruine ? Pas du tout : il ne s’agit que de la « destruction créatrice » théorisée par Schumpeter, nous assurent les participants aux rencontres du Cercle des économistes, organisées à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) le week-end dernier.

« La première actualité de Schumpeter, c’est qu’il a dirigé une banque privée en Autriche entre 1920 et 1924 et qu’elle a fait faillite. » Sur sa chaise, Éric Le Boulch, PDG du fonds d’investissement CM-CIC Securities, se trémousse légèrement, après la saillie. Au fond, il n’est pas peu fier de son effet. Mais autour de lui, sur l’estrade, personne ne moufte ; un discret frisson traverse l’amphithéâtre de la fac de droit d’Aix-en-Provence, bondé dimanche pour la clôture des rencontres du Cercle des économistes. Un trait d’humour ? Au mieux, une faute de goût ; au pire, un blasphème. Et tous les regards sur lui, le voilà, immensément seul sous les projecteurs, avec son revolver fumant dans le dos de Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950).

Au coeur de la tourmente financière internationale, avec les centaines de banques sur la corde raide des faillites, il faudrait se ranger, tous ensemble, tous ensemble, ouais, derrière le concepteur autrichien de la « destruction créatrice » : les « réformes » sont obligatoires, l’« adaptation » est nécessaire, tout ce qui disparaîtra par le jeu incessant de la concurrence - le « bois mort » - permettra l’avènement de l’« innovation majeure qui change le monde », et les lendemains chanteront à tue-tête. Chef économiste au Crédit agricole, Jean-Paul Betbèze est chargé de sortir le messie du « panthéon des économistes » : « Schumpeter nous parle de l’acceptation de la vie et de la mort, pérore-t-il. Pas seulement de la vie et de la mort des entreprises, mais de toutes les structures et des organisations. Ceux qui comprendront les premiers, qui se mettront en place pour accepter les changements dans l’industrie, mais aussi dans les services, seront les gagnants dans ces changements de cycle de croissance. » Jean-Paul Betbèze se racle la gorge. « Cela dit, je ne voudrais pas qu’on finisse comme Schumpeter. Il était un peu romantique. C’est le capitaine qui, à la fin de sa vie, voit le bateau du capitalisme, qu’il aime, qu’il estime, qu’il défend, en train de sombrer. Il pense qu’il va être remplacé par le socialisme et que ça n’est peut-être pas forcément mauvais. Évidemment, notre retour à Schumpeter ne doit pas aboutir à ça, parce que le socialisme, ce n’est pas le dépassement du capitalisme, mais sa négation en termes de liberté, d’autonomie et de prise de risques. »

Avec sa gueule d’ange, Michael Van Swaaij, aventurier de la déjà vieille « nouvelle économie » et président de l’opérateur de télécoms par Internet Skype, tient son rôle de « bébé Schumpeter » à merveille. « En France, je ressens toujours beaucoup de craintes et d’inquiétudes, narre-t-il. Alors que, quand je parle à des collègues français en Californie ou en Estonie, eux, ils ne parlent jamais de craintes, mais d’opportunités. Il n’y a aucune raison d’avoir peur. Les Français qui vont en Californie, ils ne le font pas pour l’argent, il y a des taux d’imposition élevés là-bas ; ils y viennent pour vivre dans une société en mouvement, faire partie d’une équipe gagnante. » Dans les travées, l’académicien Erik Orsenna glissera cette pépite définitive : « Ah, la vache, qu’est-ce qu’il est bien, le petit gars de Skype ! »

« J’ai le sentiment d’être dans une équipe gagnante », rayonne Christine Lagarde. La ministre de l’Économie et des Finances vient de vanter les éléments proprement « schumpéteriens », selon elle, de la politique gouvernementale, comme la révision générale des politiques publiques et la fusion ANPE-UNEDIC qui « permettra une meilleure fluidité entre les créations et les destructions d’emploi ». « La crise financière est très clairement un élément de destruction créatrice, énonce-t-elle encore doctement. Le phénomène de destruction est à l’oeuvre, la création viendra ensuite. » Dormons tranquilles ?

Thomas Lemahieu

Tag(s) : #Economie
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