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Société - Article paru le 7 mai 2008 dans l'humanité

HISTOIRE

8 mai 1945, retour sur une tragédie restée impunie

Algérie . Retour sur un événement marquant de l’histoire franco-algérienne à l’occasion de la diffusion demain sur France 2 du film de Yasmina Adi sur les massacres de Sétif et de Guelma.

Un mois après le débarquement des forces américaines à Alger et treize jours avant son assassinat, le 11 décembre 1942, l’amiral Darlan lançait un appel aux Algériens pour se battre contre l’Allemagne nazie. « La France, déclarait-il, ne manquera pas à ses devoirs envers les musulmans. » Dans un message adressé aux alliés et au gouvernement provisoire de la France libre siégeant à Alger, Ferhat Abbas, l’un des leaders les plus en vue du mouvement national algérien, déclarait : « L’opinion musulmane veut être associée au sort commun autrement que par de nouveaux sacrifices. »

À la veille du débarquement américain, l’Algérie était administrée par les lois de Vichy. La répression à l’endroit des nationalistes et des communistes s’était durcie : en 1941, Messali Hadj, leader du mouvement national algérien, était condamné à seize ans de prison. Bien que le débarquement américain ait mis fin à l’administration de Vichy en Algérie, les nationalistes et les communistes ne seront libérés qu’en avril 1943, tandis que d’autres voient leur incarcération transformée en assignation à résidence.

Prenant au mot les promesses faites par l’amiral Darlan, ils sont 138 000 Algériens à s’engager dans l’armée française. Aux côtés des tirailleurs marocains, ils participent à la libération de la Corse, de la Provence et de plusieurs régions de France. Plusieurs milliers d’entre eux trouveront la mort en France, en Allemagne ou en Italie lors de la terrible bataille de Monte Cassino. Parmi ces soldats, des futurs fondateurs du Front de libération nationale (FLN) comme Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf ou encore Krim Belkacem.

Pendant ce temps, en Algérie, la revendication nationale prenait de l’ampleur. L’ordonnance du 7 mars 1944 promulguée par le gouvernement de la France libre, octroyant la citoyenneté à une minorité d’Algériens, est rejetée par les nationalistes. Cette ordonnance est également rejetée par les colons qui refusent que l’on accorde des droits identiques aux Algériens et aux Français d’Algérie.

À l’occasion du 1er Mai 1945, les manifestations et rassemblements populaires organisés par les partis nationalistes, pour rappeler les promesses faites aux Algériens en contrepartie de leur contribution à la libération de l’Europe, sont brutalement réprimés. Le Parti populaire algérien (PPA, principal parti nationaliste) préconise alors d’organiser à l’occasion du 8 mai 1945 des manifestations pacifiques avec pour principal mot d’ordre « l’indépendance de l’Algérie ». Anticipant sur ce qui allait arriver, le préfet de Constantine, Lestrade-Carbonnel, prévient : « Il y aura des troubles et un grand parti sera dissous. »

Le 8 mai 1945, les premiers tirailleurs algériens qui débarquent du croiseur Gloire font une entrée triomphale à Alger. Le jour même débutent les manifestations organisées par le PPA à travers les principales villes algériennes. Brandissant des drapeaux alliés, y compris celui de la France mais aussi l’emblème algérien, scandant des mots d’ordre revendiquant l’indépendance de l’Algérie, portant des gerbes de fleurs devant être déposées devant les monuments aux morts, ils sont plusieurs dizaines de milliers d’Algériens à répondre à son appel. À Sétif cependant, l’événement prend une tournure dramatique. « Faites tirer sur tous ceux qui arborent le drapeau algérien », ordonne le préfet de Constantine. Le matin du 8 mai, la police tire sur les manifestants, précédés par des scouts venus déposer des gerbes de fleurs au monument aux morts de la ville. Le soir, à Guelma, sans attendre, le sous-préfet (socialiste) André Achiary fait tirer sur la foule.

De pacifiques, les manifestations deviennent violentes, embrasant tout l’Est algérien. L’administration coloniale fait intervenir l’armée. Des milices de « petits Blancs » participent également à la répression : manifestants fusillés sommairement par centaines, femmes violées… L’aviation mitraille et bombarde les villages de montagne. De la baie de Bougie, le croiseur Duguay-Trouin bombarde les douars de la montagne kabyle. À Périgotville, près de Guelma, on fusille tous ceux qui savent lire et écrire. Des prisonniers fusillés sont jetés dans les gorges de Kherrata. Parmi eux, Rabah Hanouz, membre de la Ligue des droits de l’homme, et ses trois enfants. Plusieurs milliers sont internés et condamnés.

Officiellement, cette répression a fait 1 500 morts algériens et 110 Européens. Le général Tubert, membre de la commission d’enquête mise en place par le gouvernement, avance le chiffre de 15 000. Mais, selon les nationalistes algériens, elle aurait fait 45 000 morts. Le Parti communiste algérien, qui avait dénoncé ces manifestations populaires manipulées selon lui par des « fascistes », opère un revirement et mène alors campagne pour la libération des prisonniers. Certains sont amnistiés, d’autres, comme Mohamed Saïd Mazouzi, futur ministre du Travail algérien, ne seront libérés qu’en… 1962 !

À la fin de ces événements sanglants, le général Duval, commandant en chef des forces françaises en Algérie, assurait alors : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. » Le 1er novembre 1954 débutait la guerre d’Algérie !

Hassane Zerrouky

Tag(s) : #Histoire
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