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Energie : une "bataille d'intérêt général"

Frédéric Imbrecht, secrétaire général de la Fédération Nationale Mines et Energie (FNME) de la CGT revient sur les évolutions en cours dans le secteur de l’énergie, avec notamment le projet de fusion GDF-Suez.

Le site Humanite.fr publie en intégralité l’analyse du syndicaliste.

Ce dernier accordait un entretien dans l’édition de mardi 20 février du journal l’Humanité qui consacrait un dossier à cette actualité.

La décision du Président de la République, de septembre 2007, a confirmé l’engagement des pouvoirs publics pour aller à la fusion Gaz de France – Suez.

Dans une note d’information au personnel de Gaz de France, une citation attribuée à G. MESTRALLET, PDG de Suez, indique que la fusion d’une entreprise publique (Gaz de France) avec une entreprise privée (Suez) a un caractère inédit.

Cette opération accélère le mouvement de concentration en cours en Europe dans le secteur de l’énergie et fait émerger, en France, un paysage énergétique radicalement bouleversé par l’émergence d’un acteur privé frontalement opposé à EDF, seul opérateur public.

Elle soulève de graves inquiétudes pour les salariés du secteur de l’énergie et plus encore pour ceux de l’eau et de l’environnement.

En effet, la décision de mettre en Bourse la filiale Suez-Environnement pour servir à l’actionnariat de Suez, la compensation qu’il exige pour consentir à cette fusion (en engrangeant le bénéfice de l’évolution favorable du cours de Suez face à celui de Gaz de France depuis février 2006) crée un risque majeur pour les salariés de l’eau et de l’environnement.

Depuis 2 ans, la CGT n’a pas ménagé ses efforts pour construire une réaction unitaire et des propositions alternatives à ce projet néfaste pour le pays et contraire à une perspective européenne fondée sur une politique énergétique cohérente. Elle a recherché les convergences avec toutes les forces hostiles au projet et attachées à une alternative fondée sur l’émergence d’un pôle public de l’énergie et d’une politique énergétique européenne.

Le syndicalisme, agissant à plusieurs reprises de façon unitaire, a joué un rôle majeur pour alerter et éclairer l’opinion publique, disséquer les conséquences potentielles du projet pour les usagers, les salariés et l’industrie française.

Cette bataille d’intérêt général, ponctuée de nombreuses grèves et de manifestations ouvertes à l’ensemble des salariés et de la population, a vu la CGT se mobiliser au plan interprofessionnel et porter seule sur la durée, à ce niveau, les enjeux de politique énergétique et de service public posés par la fusion Suez-Gaz de France.

La ténacité de la CGT et les convergences qu’elle a tissé progressivement, avec les organisations syndicales françaises puis européennes concernées à Gaz de France et chez Suez, a permis de faire de la consultation des Institutions Représentatives du Personnel des deux groupes un moment fort de la résistance à ce projet et un point d’appui pour contraindre les Directions des deux groupes à dévoiler les conséquences concrètes de cette fusion pour les usagers et les salariés.

Malgré les moyens considérables déployés par ces deux groupes, pour réduire au silence les représentants du personnel et pour caricaturer leur action dans l’opinion publique, la lutte a conduit à faire respecter les droits des salariés lors des grandes restructurations. Par le biais de sept décisions de justice, dont deux arrêts de la Cour de Cassation et une décision sur le fond du TGI de Paris, non contestée par Gaz de France, une véritable jurisprudence de très grande portée sur les droits des salariés émerge : droit à la communication aux membres des Conseils d’Administration de toute information (telle que la lettre de griefs de Bruxelles obtenue pour Gaz de France), nécessité d’une information complète sur tous les volets impactés par une restructuration tant pour les CCE que pour les CEE.

La bataille acharnée du syndicalisme, pour faire respecter les droits des salariés lors des restructurations industrielles, a ouvert, à plusieurs reprises, des espaces pour que l’intervention politique et citoyenne puisse se saisir des enjeux particuliers du secteur de l’énergie et les mettre en résonnance avec les enjeux plus larges de maîtrise publique sur les secteurs vitaux de l’économie.

Si le débat parlementaire de l’automne 2006 avait montré que la mobilisation syndicale influait sur les prises de position des forces politiques opposées à la privatisation du secteur de l’énergie, la question a malheureusement été quasiment absente du débat lors des élections présidentielles et législatives de 2007, laissant le champ libre à la droite pour confirmer la privatisation sans avoir eu à prendre le moindre engagement devant les Français.

Sans vouloir polémiquer ou rejeter sur d’autres la responsabilité de la situation, force est de constater une forme de délégation de pouvoir implicite au syndicalisme dans la défense et la promotion du service public.

Il me semble que cette délégation de pouvoir implicite s’appuie dans les forces politiques opposées au mouvement de privatisation sur l’idée que la bataille pour défendre les services publics revient en premier lieu voire exclusivement aux salariés de ces secteurs.

Cette idée conforte la présentation tendancieuse qui assimile toute bataille pour la défense du service public à une défense des acquis des personnels.

Ainsi, la vision « réactionnaire » de salariés arc boutés sur leurs acquis statutaires comme la vision « progressiste » de salariés incarnant à eux seuls, la défense de « leur » service public constituent des images inversées mais fondamentalement déformées du réel. Elles tendent à isoler les salariés soit en cherchant à les stigmatiser soit en leur déléguant la défense du service public.

Au passage, le secteur de l’énergie est caractérisé par un statut unique des personnels, qu’ils soient dans le secteur privé ou dans le secteur public. La défense du statut ne peut donc aucunement être invoquée pour expliquer la mobilisation des salariés contre la fusion Suez – Gaz de France. Par contre, l’attachement des personnels au service public et aux synergies de service public, entre EDF et GDF, est un moteur efficace de la mobilisation.

Et il n’est pas à exclure que la concurrence public-privé dans le secteur de l’énergie conduise à des batailles des entreprises, cette fois, pour s’arracher un certain nombre de compétences, à travers une surenchère sur certains éléments de rémunération.

Cette situation existe d’ailleurs dans d’autres secteurs comme l’audiovisuel public.

La profitabilité du secteur de l’énergie est d’ailleurs beaucoup plus liée à l’explosion du prix de l’énergie, dans le cadre de sa marchandisation, qu’à des niveaux de salaires bas. La satisfaction des revendications salariales dans ce secteur n’empiéterait que faiblement sur les profits et serait susceptible d’améliorer considérablement l’efficacité des entreprises.

En revanche, l’impact du mouvement de déréglementation et de privatisation, soi-disant sur la facture des usagers, ne relève pas du fantasme.

La décision du Conseil Constitutionnel sur la privatisation de Gaz de France repoussée au 1er juillet 2007, pour cause d’ouverture à la concurrence, invoquait la logique européenne d’ouverture à la concurrence pour considérer que les tarifs réglementés devraient être mis en extinction pour les logements neufs à compter du 1er juillet 2007.

Une telle décision du Conseil Constitutionnel, censé être placé comme gardien de la Constitution et faire autorité en matière législative au dessus du Parlement, aurait-elle pu être remise en cause par la suite par les députés et les sénateurs de l’UMP si la bataille syndicale n’avait pointé la disparition de ces tarifs comme enjeu central de la loi de privatisation de GDF et d’ouverture à la concurrence de 2006 ?

Nous avons la faiblesse de penser que non.

La CGT entend poursuivre son engagement dans la bataille pour une réelle maîtrise publique de l’énergie et pour une réorientation de l’Union Européenne en matière énergétique par une remise en cause de la primauté de la concurrence et l’élaboration d’une véritable politique énergétique cohérente.

Cet enjeu, comme celui plus large du devenir des services publics, ne peut pas continuer d’être de fait délégué au seul syndicalisme si l’on veut passer d’une bataille défensive à une véritable phase de reconquête de services publics répondant aux besoins des usagers et de développement industriel.

http://www.humanite.fr/Energie-une-bataille-d-interet-general

Tag(s) : #Economie
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