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Tribune libre - Article paru le 31 janvier 2008 dans l'Humanité

idées

Prophètes et serviteurs de l’économie néolibérale

Christian de Montlibert décortique l’activité des groupes sociaux et réseaux intellectuels au service des croyances économiques dominantes.

Les Agents de l’économie, par Christian de Montlibert. Éditions Raisons d’agir, 2007, 254 pages, 15 euros.

La collection « Raisons d’agir » poursuit son travail de publications de travaux, souvent inspirés de la sociologie de Pierre Bourdieu, qui nous aident à comprendre comment les dominants peuvent perpétuer leur domination, non sans contradictions, mais avec une efficacité qui ne s’est pas démentie depuis que le « néolibéralisme », à la fois une pratique et une croyance, s’est installé aux commandes du capitalisme.

Or cette efficacité ne tombe pas du ciel des idées, et elle ne repose pas (seulement) sur la coercition. Elle résulte de l’activité incessante de groupes sociaux qui ne sont ni homogènes ni coulés dans le même moule, mais qui partagent un socle de convictions sur le primat de l’économie (pas n’importe laquelle), et qui disposent de moyens puissants pour tenter de les faire partager.

Le sous-titre du livre de Christian de Montlibert indique son angle d’attaque : « Patrons, banquiers, journalistes, consultants, élus. Rivaux et complices ». Cinq groupes sociaux sont ainsi passés au crible de la recherche sociologique. Sont combinées des analyses statistiques et des approches plus « qualitatives », fondées sur des entretiens ou sur la consultation de textes produits par ces « agents » ou par d’autres « complices ». Pour le lecteur non universitaire, ces secondes approches seront les plus accessibles et les plus stimulantes.

L’un des groupes dont l’étude est la plus complète et la plus originale - mais chacune a son intérêt - est celui des journalistes économiques, une profession dont l’auteur retrace l’histoire, l’insertion dans des entreprises de presse de plus en plus contrôlées par de grands groupes privés, la diversité et la hiérarchie internes, et les représentations assez contradictoires du métier, de son « indépendance » et de son « objectivité ». La « fabrication de l’information » sous des pressions multiples y est décortiquée sans manichéisme ni diabolisation, mais en donnant toute sa place aux mécanismes subtils du travail sous influence.

Un peu moins aboutie, peut-être, la dernière des études de cas présentées, celle des élus locaux. L’image qui en est donnée est incroyablement « libérale ». On a beau avoir perdu certaines illusions sur la capacité de nombre de ces élus à résister aux croyances économiques dominantes, on est assez effaré par les constats présentés. Rien n’est inexact, mais l’analyse se réfère à une enquête par questionnaire réalisée en 1997 en Alsace, sur la base d’un nombre très limité de questionnaires revenus.

Il est permis de penser (et d’espérer…) que ces résultats ne sont que partiellement généralisables à d’autres régions. L’auteur indique en conclusion que ces différents groupes ne fonctionnent pas de manière indépendante les uns des autres et qu’ils constituent un réseau qui « maintient l’unité du monde économique ».

Quelques pistes sont alors fournies, mais on aimerait en savoir plus sur la nature de leurs liens. Ce livre est une contribution de plus à une théorie fine de la domination de et par l’économie néolibérale. Il resterait à passer des « raisons de comprendre » aux « raisons d’agir », ce qui impliquerait peut-être une sociologie des résistances à la domination et des échecs des dominants, dont certaines idées ne parviennent pas à susciter l’adhésion, en dépit des moyens considérables mis au service de la « pensée unique diversifiée ».

Jean Gadrey, économiste

Tag(s) : #Economie
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