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Retraités : « Nous ne sommes pas des nantis ! »

Journée de mobilisation des retraités contre le plan d’austérité
Sarah Sudre
Mardi, 3 Juin, 2014

Des milliers de retraités se sont rassemblés, aujourd’hui, à Paris, pour un pique-nique géant avant la grande marche vers Montparnasse. Contre le plan d’austérité du gouvernement, les retraités dénoncent des conditions de vie déplorables, un pouvoir d’achat inexistant et le sentiment d’être « les bouc-émissaires d’un système politique pas si à gauche que ça », d’après les organisations syndicales mobilisées (CGT, FO, CFTC, FSU, Solidaires, USR, UNPA, FRC et CFE-CGC).

À 11 heures pétante, les retraités, venus de toute la France, ont envahi la place Joffre de Paris pour un pique-nique géant. Merguez sur le grill, file d’attente pour un rafraichissement, déjeuner sur l’herbe par ici, applaudissements pour les musiciens de la grande scène par là. Bref, une ambiance conviviale pour les milliers de retraités venus se rassembler ce 3 juin 2014. Pour autant, le jour n’est pas à la fête, loin de là. Derrière le beau sourire de Gisèle, retraitée de 69 ans et militante en Seine-Saint-Denis, se cache une âme en peine. Pire, on ne le voit pas mais Gisèle est « en détresse, avec seulement 800 euros de pension "retraite" par mois ». Alors, elle a pris « exceptionnellement » les transports pour venir exprimer sa colère et lancer un SOS au gouvernement. Un acte politique, social et démocratique, soutenu par les quelques 20 000 retraités (9 000 selon la police) mobilisés aujourd’hui pour faire entendre « un ras-le-bol généralisé », annoncé par le secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon.

Face au plan d’austérité de Manuel Valls qui souhaite effectuer 50 milliards d’euros d’économies, les organisations syndicales de retraités CGT, FO, CFTC, FSU, Solidaires, USR, UNPA, FRC et CFE-CGC ont en effet appelé à la mobilisation pour lutter « contre le gel des pensions, pour l’amélioration du pouvoir d’achat et le retour à la revalorisation annuelle des pensions ». La hausse de la TVA, la taxe de 0,3 % sur les retraites imposables, le report de la prochaine revalorisation des pensions au 1er octobre 2014, la difficulté de l’accès aux soins pour les retraités et le gel des pensions jusqu’en 2015, autant de mesures « inacceptables » pour Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU. Parce que « l’argent n’est pas chez les retraités », ajoute Jeanne Charlionnet, membre de la CGT Corrèze, ancien agent d’entretien dans l’Education nationale, à la retraite depuis 17 mois.

Tout comme il est « inacceptable que le gouvernement vienne faire ses économies sur notre dos, il est logique dans une société solidaire de

recevoir notre dû sans qu’on ne nous le reproche », explique Micheline Rebouté, ancienne professeure au lycée, déléguée régionale Île-de-France de la fédération générale des retraités de la fonction publique (FGR –FP) et membre syndiquée du SNEF. « Les retraités d’aujourd’hui ont participé au développement de la nation et à la solidarité entre générations. Ils devraient naturellement recevoir leur dû », confirme la CGT. Les chiffres sont encore plus critiques. 17% des retraités vivent en dessous du seuil de pauvreté, dont « beaucoup se retrouvent quotidiennement au Secours populaire avec les jeunes sans emplois, qui sont eux aussi dans la misère », raconte Micheline Rebouté.

Il y a encore deux ans, Lisian travaillait à la caisse nationale d'assurance vieillesse de Paris, où elle calculait les pensions de retraite : « J’ai vu plus d’une personne pleurer. Ils se demandaient comment ils allaient faire. Aujourd’hui, c’est moi qui me pose des questions. » Avec 1 200 euros de pension mensuelle moyenne pour les hommes et 900 euros pour les femmes, les retraités exigent le dégel des pensions et la suppression de la taxe de 0,3 % sur les retraites imposables. « Notre pouvoir d’achat chute de plus en plus. Les retraités ne vivent plus, ils survivent. Dépenser 23 euros est devenue un gros budget pour certains… C’est dire la gravité de la situation », explique Jeanne Charlionnet avec dégoût. Aujourd’hui, revendiquant un droit qui leur est dû et non un privilège, ils clament haut et fort : « Nous ne sommes pas des nantis ! »

Les inactifs font de parfaits boucs-émissaires

Voyant la foule grossir depuis le stand des cheminots, Gérard Bernelas, ancien cadre aux chemins de fer et secrétaire des retraités CGT de Paris Saint-Lazare, semble satisfait : « Les informations qui remontaient de province parlait d’une grande mobilisation sur le plan national. Et c’est le cas, il n’y a qu’à regarder les drapeaux, les gens sont venus de toute la France. » Elisabeth et Eliane Daunis sont venues de Nîmes, ce matin, avec 120 autres militantes et militants CGT pour manifester contre le projet de loi sur l’autonomie du gouvernement et les pertes de pouvoir d'achat. « Mais il n’y a pas que ça, explique Eliane, ex-fonctionnaire de la sécurité sociale et membre du bureau interprofessionnel des retraités (USR). La sécurité sociale est en danger avec des privatisations progressives de toutes les branches. Lorsque le CNR a imaginé la Sécu, elle devait rembourser les soins à 100%, il n’y avait donc pas besoin de mutuelles. Ca ne devrait même pas exister. »

Pour sa sœur Elisabeth, travail et engagement syndical ont toujours été complémentaires. Mais depuis qu’elle a quitté son poste, il y a 3 ans, elle regrette un manque de considération des retraités : « On intéresse seulement les boutiques de tourisme, pour ceux qui en ont les moyens. » Sur la place Maréchal Joffre, peu de chaînes de télévisions et de radios semblent avoir fait le déplacement. Les « vieux » seraient-ils moins vendeurs que les étudiants ? « Même dans les syndicats, c’est un vrai combat pour être reconnus en tant que syndicalistes par les actifs », confie Elisabeth. « Pourtant, la transmission est importante. Même si on n’a pas vécu les mêmes choses, j’ai envie de dire à ceux qui viennent après que le rapport de force est la seule chose qui marche. Et ça, ça ne changera pas. »

Certains manifestants ont le sentiment d’être des boucs-émissaires. Parce qu’ils sont classés « inactifs », ils ne seraient qu’un poids pour le reste de la population. Un préjugé pour Micheline Rebouté : « Les retraités ne sont pas des nantis. Ils contribuent à l’économie du pays par leurs actions bénévoles, leurs voyages pour ceux qui le peuvent, ils créent des emplois dans le médical… ». « La vérité doit être dite, insiste l'ancienne professeure, sans retraités, le pays se porterait mal. Nous ne sommes pas à la charge de la société tel un boulet. Au contraire, nous sommes un maillon fort qu’il ne faut pas fragiliser. Malheureusement, au lieu de valoriser la solidarité intergénérationnelle, le plan d’austérité du gouvernement fragilise les uns et les autres. »

Un accès aux soins et au logement de plus en plus difficile

Alors que le projet de loi sur l'autonomie des personnes âgées, présenté ce matin au conseil des ministres, centré sur une amélioration des aides financières permettant de rester le plus longtemps possible à domicile, ne sera débattu finalement au parlement qu'à la rentrée, Micheline Rebouté pointe du doigt les inégalités dans l’accès aux soins des personnes agées. « Beaucoup de retraités n’ont pas accès aux soins, notamment quand ils recherchent une maison de retraite. Il y en a très peu qui sont publiques. Quand il faut se rabattre sur le privé, c’est hors de prix, à hauteur de 3 000 euros par mois, en région parisienne. Avec une pension de 900 euros par mois pour une femme, comment peut-elle intégrer la maison ? Ce n’est pas possible. Il faut que les enfants interviennent financièrement, eux qui sont également touché par la crise. La solidarité a un prix aujourd’hui, c’est regrettable. Si une personne âgée doit compter sur ses économies, sur l’aide de sa famille pour se soigner ou être accompagné par un personnel de santé, maintenant car sa pension retraite et complémentaire ne suffira pas », confie t-elle.

Même histoire pour le logement. Face à l’augmentation des taxes d’habitations, des prix au m2, des loyers et des charges qui restent les mêmes, certains retraités locataires voient toute leur pension partir dans le logement. « je suis devenu veuf et pourtant mes charges, eau, gaz, chauffage, sont toujours les mêmes comme si nous étions toujours deux… », intervient Raymond Roels, membre du parti communiste et ancien salarié dans l’agro-alimentaire, retraité depuis 1 an ½. « Dans notre section Cheminots, on a des veuves qui sont à 600 euros par mois. Quand on serre les boulons sur les pensions, il reste plus grand-chose pour bouffer », ajoute Gérard Bernelas.

Les poches vides en fin de mois, mais aussi l’angoisse permanente de pouvoir payer le loyer le mois prochain. Si bien que pour éviter de justesse la rue, Gisèle, âgée de 67 ans et Claudine, 69 ans, sont devenues colocataires, à Bobigny. En effet, voisines et veuves, elles ont décidé, l’année dernière, d’habiter ensemble. Non pas par choix, même si ce sont deux véritables amies, mais par obligation pour « survivre ». A Bobigny, dans un appartement de 65 m2, elles ont chacune leur chambre mais partagent tout le reste. Question courses, chacune a son coin et son compartiment frigo. La coloc’ pour les septuagénaires, « c’est bien d’un certain point de vue car on se sent moins seules. Quand l’une est malade, l’autre peut l’aider par exemple. Mais elle est le reflet d’une vraie crise en France. Savoir que des retraités, alors qu’ils ont travaillé toute leur vie, sont contraints de se regrouper dans un logement pour ne pas être à la rue, c’est dramatique », témoigne Gisèle avec amertume face à un gouvernement « qui se dit de gauche ».

Soutenues par les organisations syndicales, elles marcheront ensemble jusqu’à Montparnasse avec les milliers de retraités pour revendiquer, entre autres, un rattrapage immédiat de 300 euros par mois pour toutes les pensions, un minimum de retraite égal au Smic et la prise en charge de l’autonomie des personnes âgées par l’assurance maladie.
« On souhaite que Hollande respecte ses engagements, et qu’il agisse en voyant ces femmes dans la souffrance. On souhaite vivre dignement », argue Raymond Roels. Et pour tous les retraités qui n’ont pu faire le déplacement, notamment les personnes âgées, « elles sont mobilisées avec nous par la pensée et par le cœur, c'est bien ça la solidarité, non ? » conclut-il
.

Journée de mobilisation des retraités contre le plan d’austérité
Tag(s) : #Retraites
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