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Mémoire d’enfer, l'éditorial de Patrick Apel-Muller

Humanité Quotidien
8 Novembre, 2013

De temps à autre, un casque ou un os émerge de la glaise. Sur les pentes du fort de Douaumont, dans les taillis qui ont réussi à émerger d’une terre presque stérilisée, des restes d’ypérite remontent en surface, teignant le sol d’une tache jaune. Les champs de bataille sillonnés de tranchées, l’immense charnier de 14-18, les interminables listes des monuments aux morts n’ont pas déserté la mémoire nationale.

Même les absents sont toujours là, ceux que la patrie n’a pas reconnus morts pour elle, fusillés pour l’exemple, pour un refus ou une parole de révolte, expédiés au poteau au terme d’une parodie de justice. Les soixante-quinze pour cent de sondés qui souhaitent la réhabilitation de ces Français tués par des Français témoignent de cette blessure qui a balafré un siècle, de l’infini traumatisme qui a secoué notre pays. « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels », écrivait Anatole France le 18 juillet 1922 dans l’Humanité, en un lointain écho à la prophétie de Jaurès en 1910 : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. » Le 11 novembre, c’est une victoire en trompe-l’œil qui est depuis célébrée.

La barbarie qui faisait alors une pause avait trouvé un droit de cité au cœur de l’Europe, la suite l’a montré. Des générations de révoltés ont surgi de la géhenne, anciens combattants à jamais meurtris, poilus de nouveau rivés à l’établi ou à la charrue, qui voyaient parader les bourgeois de l’arrière, orphelins et veuves jetés dans l’abandon, campagnes dépeuplées, esprits déboussolés… « Dès 1916, je portais en moi une colère que la Victoire, comme on dit, n’a jamais pu éteindre », expliquait Aragon. Le vingtième siècle, porté sur les fonts baptismaux du grand abattoir, allait en rester à jamais marqué. Le socialisme a été bouleversé par cette guerre qu’il avait prédite sans parvenir à l’empêcher. Le communisme est né de cette matrice et contre elle, pressé d’en finir avec le tableau tragique, déterminé à briser cette société ancienne qui avait produit le pire.

Les cérémonies de commémoration, les rassemblements aux monuments aux morts ont longtemps donné à émotions militaristes, permis une confusion funeste entre l’hommage aux vies brisées et la justification des buts de guerre. Aujourd’hui, il faut encore et encore relire cette histoire fondatrice, savoir se protéger de ses pièges toujours tendus, faire de sa mémoire un passeport pour l’avenir. En sortant des phrases creuses et des clichés officiels. Ou du lamentable parallèle tracé hier par le président, entre Verdun et son offensive en faveur de l’austérité… « On croit faire des efforts pour la patrie ; on fait des sacrifices pour des industriels ! »

Patrick Apel-Muller

URL source: http://www.humanite.fr/politique/memoire-d-enfer-552819

Histoire : Guerre 1914-1918, mémoire d'enfer !
Tag(s) : #Histoire
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