L'opinion publique n'a pas été désarmée
Par Patrick Apel-Muller
Éric Woerth avait tenté un dernier coup de Trafalgar pour saborder la journée de mobilisation syndicale : mettre fin autoritairement à la concertation qui devait se poursuivre jusqu’à fin juin et proclamer le report de l’âge de départ à la retraite bien au-delà de soixante ans. Le ministre espérait décourager les salariés en annonçant la fin du match bien avant la durée réglementaire. Il a échoué. Les manifestants étaient hier plus nombreux - autour d’un million - que lors du précédent rendez-vous le 23 mars et, dans certains secteurs, les grévistes étaient aussi ou plus nombreux qu’alors. Peut-être en a-t-il dissuadé de rejoindre le mouvement. Mais, en dépit d’un matraquage médiatique et de la publicité gouvernementale, l’opinion soutient massivement l’action syndicale et reste très majoritairement opposée au report du droit à la retraite. Tous les sondages l’attestent.
La méthode signe le crime : une fausse concertation, un projet de loi dévoilé le 20 juin à l’orée des congés d’été puis débattu à l’Assemblée le 6 septembre, avant la rentrée scolaire. Le président de la République, non content de renier ses engagements d’avant et d’après la campagne présidentielle, agit en catimini et frappe à l’heure du laitier. Il faut être bien convaincu que son projet nie l’intérêt général pour fuir à ce point le débat citoyen ! C’est en effet quasi exclusivement sur les salariés que pèseront les nouveaux efforts pour financer le système des retraites. La contribution des revenus du capital et des grandes fortunes ? Oubliée ! Le voilà le tabou, « le dogme » intouchable ! Le Medef, encouragé par le fait que ce sont ses propositions qu’a adoptées le gouvernement, réclame plus encore : l’introduction de la capitalisation pour remplacer progressivement la répartition qui assure la solidarité entre générations. La ronde des fonds de pension a débuté à l’aplomb d’une proie alléchante… 40 % de notre part salariale - les cotisations sociales patronales - ceux qui échappent aujourd’hui aux tapis verts des casinos boursiers et abondent les caisses maladie et retraite. Les appétits ne se cachent plus désormais puisque les dividendes, les stock-options et les retraites chapeaux font partie des domaines protégés par Nicolas Sarkozy.
Paradoxalement, le projet qui vise à briser la solidarité entre les générations l’a renforcée. Les jeunes de moins de trente ans, à qui l’on susurrait que la retraite à soixante ans menaçait leur avenir ou que le sujet était bien trop lointain pour les concerner, sont désormais au premier rang des classes d’âge disposées à défiler. C’est en effet leur avenir que la droite a décidé de sacrifier en les enchaînant au travail jusqu’à leurs forces ultimes.
L’acharnement du gouvernement et de ceux qui en approuvent les propositions à n’envisager aucune autre piste de financement, a mis en lumière un enjeu central, celui de la destination et de la répartition des richesses créées. La progression de 1,6 % du PIB par an, qui a conduit au doublement des richesses en quarante ans, a permis de multiplier par 4,5 les dépense des pensions et retraites depuis 1960. Pourquoi cela serait-il interdit à l’avenir ? Les principaux syndicats, hors FO qui faisait bande à part, ont annoncé des suites. La journée d’hier témoigne de l’échec du pouvoir à désarmer la colère de l’opinion.