Les pauvres savent que l’éducation peut transformer leur vie
Si vous voulez voir des gens qui ne renoncent jamais, allez faire un tour au camp de personnes déplacées de Kachange, dans le Nord-Kivu, en République démocratique du Congo.
C’est une zone de guerre. Les familles hébergées là-bas ont tout perdu. Tout, sauf l’envie de donner à leurs enfants une éducation de qualité ! Dans la pauvreté absolue, les parents ont uni leurs maigres forces pour bâtir des classes de fortune, embaucher un maître d’école, acheter un vieux tableau noir. De nombreux écoliers travaillent l’après-midi pour vendre des petits tas de charbon de bois et se procurer le dollar demandé pour l’inscription. David Ichange, douze ans, témoigne : «Être à l’école, c’est chouette. Et ceux qui sont instruits auront une meilleure vie. Moi, je serai docteur.»
Le camp de Kachange ressemble à tous ces villages déshérités des pays en développement. Les pauvres ne s’y trompent pas : ils savent que l’éducation peut transformer leur vie. Ils savent qu’une éducation décente donne aux enfants une chance d’échapper à la pauvreté, d’améliorer le rendement des récoltes, de trouver un emploi et de faire des choix.
C’est vrai pour les individus, c’est vrai à l’échelle d’un pays. L’éducation est l’un des leviers les plus efficaces pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Pourtant la communauté des donateurs ne se montre pas digne des efforts consentis par les enfants du camp de Kachange. Il manque près de 16 milliards de dollars par an pour combler le déficit de financement de l’éducation de base pour tous. Aujourd’hui, le niveau de l’aide tourne autour de 5 milliards, et il stagne.
Les pays touchés par un conflit sont ceux où l’éducation est la plus menacée. Les écoles sont de plus en plus souvent considérées comme des cibles légitimes, les élèves sont recrutés de force ou victimes de violences sexuelles, surtout les jeunes filles. L’aide humanitaire pourrait contribuer à soutenir le tissu scolaire, mais seulement 2% des moyens lui sont consacrés. Lors des appels d’urgence, le secteur de l’éducation est le moins financé de tous.
Quelques pays en guerre reçoivent, il est vrai, des aides conséquentes. À lui seul, l’Afghanistan reçoit plus d’aide à l’éducation de base que le Soudan, la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, la République centrafricaine et le Tchad réunis. Mais le tableau général reste accablant. Et la crise aggrave encore la situation.
En ces temps de rigueur budgétaire, c’est toujours le même refrain : «Bien sûr, nous croyons en l’aide à l’éducation mais nous n’en avons pas les moyens en ce moment.» C’est l’argument de ceux qui sont «économes avec le son mais prodigues avec la farine». Car les 16 milliards dont l’éducation primaire a besoin représentent moins d’une semaine de dépenses militaires des pays donateurs ! C’est un petit peu plus que le montant des bonus de la City à Londres en 2011.
Comparaison n’est pas raison. Nous vivons dans un monde dangereux, les dépenses militaires sont une composante essentielle de la sécurité mondiale. Mais comme il est fréquemment rappelé qu’avant de construire des écoles, et avant de former des professeurs, il est plus urgent, plus tangible ou plus rentable de fournir des vaccins, de la nourriture, ou d’assurer la sécurité des populations, je voudrais rappeler quelques faits.
Quand on parle de santé, il faut savoir qu’aujourd’hui le traitement le plus efficace pour freiner la transmission du sida de la mère à l’enfant, qui affecte 370 000 enfants par an, c’est l’éducation maternelle. Si toutes les mères d’Afrique subsaharienne bénéficiaient d’un enseignement secondaire, la baisse de la mortalité infantile pourrait sauver presque 2 millions de vies.
Quant à la faim, l’Unesco a montré que si les femmes kényanes recevaient le même niveau d’instruction que les hommes, le rendement des récoltes augmenterait de 22%. La scolarisation des enfants des pays les plus pauvres permettrait de faire sortir 171 millions de personnes de la pauvreté (soit 12 % de celles qui vivent aujourd’hui sous ce seuil).
L’éducation est enfin une force de paix, dont le potentiel reste inexploité. Car nous voyons au contraire les effets dramatiques d’une éducation mal adaptée ou intolérante, notamment lorsqu’elle dresse les communautés les unes contre les autres. Les inégalités du système scolaire entre le nord et le sud de la Côte d’Ivoire ont clairement contribué à attiser les tensions dans le pays.
Les acteurs de l’éducation sont prêts à rendre des comptes. À condition que ceux qui les leur demandent aillent jusqu’au bout des questions posées : qu’est-ce qui est le plus rentable ? Une initiative mondiale qui scolariserait 67 millions d’enfants ou une semaine de dépenses militaires ? À ce petit jeu, l’éducation ne serait pas forcément perdante. Vingt et un pays en développement dépensent davantage pour leur armée que pour leur école primaire, et je n’ai pas constaté d’amélioration nette de la sécurité mondiale. Mais si les États échouent à protéger les écoles et à sanctionner ceux qui les attaquent, ils se condamnent à alimenter les conflits de demain.