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Dollar, yuan, euro : une guerre durable

mardi 9 novembre 2010 / "le Patriote"

 

Le "G20" est réuni à Séoul cette semaine et examine les moyens de faire face à une "guerre des monnaies" selon l’expression du ministre brésilien des finances. La semaine dernière les relations complexes entre dollar, euro et yuan étaient un sujet de la rencontre Sarkozy-Hu Jintao. Dans un temps où la décision de la Banque Centrale des Etats-Unis ( la FED) d’augmenter de 600 milliards de dollars sa création monétaire suscite « Euphorie boursière et inquiétudes » comme titre Le Monde du 8 novembre.

Ajustement ou dérèglement monétaires

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les taux de change entre monnaies sont des armes économiques, en particulier en pratiquant des « dévaluations compétitives » pour favoriser les produits d’un pays. Les évolutions de taux de change (dévaluations ou réévaluations) sont par ailleurs nécessaires pour accompagner les différentiels d’évolution de productivité entre les zones économiques et corriger des excédents ou des déficits extérieurs trop importants d’un pays.

C’est d’ailleurs une des failles internes de la zone euro que d’être privée, monnaie unique oblige, de possibilités d’ajustements monétaires entre les pays membres. C’est comme si on voulait faire porter à des personnes de tailles différentes un costume unique, forcement taillé à la mesure de l’économie la plus forte, en l’occurrence l’Allemagne. La politique budgétaire étant également verrouillée par le « Pacte de stabilité », il ne reste plus alors comme « variable d’ajustement », pour des pays comme la Grèce, que la « déflation » pour reprendre l’expression de Dominique Strauss-Khan, déflation essentiellement salariale.

SMI en crise

Le G20 réuni prétend qu’il engage une refondation du Système Monétaire International. Les mêmes nous avaient présenté, il y deux ans, une « refondation du capitalisme ». Ce n’est qu’une « rilance » des profits et bonus bancaires.

De même, on est très loin d’une refondation du SMI. (1) Pire la dernière décision de la FED est une nouvelle preuve du « seigneuriage » international dont les USA tirent avantage (2). Elle relance une « guerre des monnaies », qui dure de façon ouverte ou larvée depuis la mise à bas des accords de Bretton-Woods en 1971 et 1976. Les rares accords internationaux de stabilisation des changes, comme ceux de 1985, n’ont été que des trêves, vite bousculées par les forces erratiques de la libre circulation des capitaux, de la déréglementation des taux de changes et des taux d’intérêt, et d’une croissance financière en mal de rentabilité. Le G20 comme le FMI ne font que prendre en compte, et encore a minima, que le monde change.

Le monde change

C’est une sorte de « tectonique des plaques » qui bouleverse aujourd’hui l’économie du monde et ses rapports de forces. En 1985, les pays de l’OCDE, pour l’essentiel la triade Amérique du Nord Europe de l’Ouest et Japon, représentaient les trois quart du PIB mondial. Selon une étude publiée par l’OCDE, aujourd’hui cette proportion dépasserait légèrement 50%. Les pays émergents, en ordre dispersé et dans des situations différentes, s’affirment. La Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale devant le Japon et l’Allemagne. Brésil, Inde, Corée du Sud, Russie prennent place dans les 12 premiers pays du monde selon les statistiques du FMI. (3) En raisonnant en parité de pouvoir d’achat, les dernières études montrent que les USA représentent 20% du PIB mondial, la Zone Euro 14% comme la Chine, et le Japon 5%.

Et, si l’on s’en tenait aux réserves de changes détenues par les Banques Centrales des pays, la Chine serait de loin la première puissance avec l’équivalent de 2500 milliards de dollars accumulés. Ce sont d’ailleurs des pays émergents qui détiennent les plus vastes réserves de change, près de 300 milliards de dollars pour la seule Corée du Sud par exemple, soit plus que la FED américaine ou la BCE de la zone euro.

La vraie place des USA

Mais il convient de ne pas s’en tenir à cette vision, car la puissance économique des USA ne se limite pas à leur PIB. Les firmes multinationales, et notamment américaines, sont des actrices de premier plan de l’économie des pays émergents. On considère qu’il se rapatrie aux USA plus de dividendes acquis de part le monde par ces firmes, que le Trésor Américain ne paie d’intérêts pour les Bons du Trésor américains détenus par des « non résidents ».

Contrepartie des déficits américains, plus de 61% de toutes des réserves de change dans le monde sont libellés en dollar, ce qui obligent les pays émergents à en acheter par dizaines de milliards chaque mois, pour éviter une baisse trop forte de cette monnaie ; baisse qui ferait fondre la valeur de leurs réserves accumulées. Le dollar reste aussi la monnaie de facturation pour 50% du commerce international. Le FMI dans son actuelle réforme acte donc, a minima, ces changements du monde. Les pondérations de voix par pays au Conseil d’Administration du FMI sont modifiées : la Chine passe de 2,98% des droits de vote à 6,39%, l’Inde de 1,95% à 2,75%, etc… Mais il est à noter que ce sont les pays européens qui réduisent leurs poids relatifs au profit des pays émergents. Les USA se maintiennent à 17% des droits de vote, soit au dessus de la « minorité de blocage » fixé à 15%. Ils conservent donc, seul en tant que pays, un droit de veto, sur toute décision du FMI qui leur déplairait.

La faute au Yuan ou le poison du Dollar ?

Prenant prétexte de l’importance des réserves de change chinoises et de ses excédents commerciaux avec les USA et l’Union européenne, chez de nombreux commentateurs, c’est « haro sur le yuan chinois » qui en étant sous évalué serait la cause des désordres monétaires actuels. C’est largement pour les Etats Unis et l’Union Européenne s’exonérer de leurs propres responsabilités.

C’est évident pour les déficits des USA. Mais plus largement pour la logique économique internationale que les USA et l’UE ont nourri. Qui a dérégulé les taux de change et les taux d’intérêt ? Qui a fait du libre échange et de la libre circulation des capitaux de véritables dogmes ? Qui a combattu les gouvernements qui dans les pays en voie de développement avaient des stratégies de croissance « autocentrée » pour imposer partout des stratégies de croissance « extraverties » fondées sur les exportations et le commerce intra-firmes des multinationales ? Lesquelles se moquent aussi bien des intérêts des peuples émergents que du devenir du monde du travail des pays développés.

La parité du Yuan, qui était de 1 dollar pour 8,25 yuan en 2002, a été réévaluée à 1 dollar pour 6,8 yuan en 2008. Stabilisée ensuite, cette parité a à nouveau été réévaluée de 3% depuis juin 2010. Il peut toujours y avoir des discussions sur ce niveau du Yuan, mais l’essentiel est ailleurs. Madame Lagarde le dit dans une interview le 25 octobre en déplorant « l’absence en Chine d’une monnaie flottant librement ». La Chine a en effet conservé un contrôle d’Etat sur le taux de change et les mouvements de capitaux. Le Yuan est « non convertible » pour les opérations sur les marchés financiers. Il faudrait donc, selon madame Lagarde qu’en « flottant librement », la Chine perde le contrôle de sa monnaie et que les fonds chinois viennent nourrir les chaudières des "marchés" et de la spéculation financière, décuplant une réévaluation du Yuan ! La Chine n’y a évidemment aucun intérêt.

On rejoint là la pression des USA sur l’ensemble des pays émergents pour qu’ils réévaluent massivement leurs monnaies, sciant du même coup la branche du « développement par les exportations » que les occidentaux leur ont imposé. On comprend que Brésil, Inde,…résistent.

Et l’euro ?

Dans une chronique cinglante en Avril 2010 et intitulée « la monnaie au régime G2 », Eric le Boucher constatait que « le fait est que l’Europe est l’observatrice de la valeur de sa monnaie unique ». Elle subie la dévaluation du dollar (près de 13% en quelques mois avec un pic à un euro pour 1,41 dollar après les dernières annonces de la FED ). Et, la Chine ayant conservé, elle, les moyens politiques de limiter la réévaluation du Yuan vis-à-vis du dollar à 3%, c’est mécaniquement de près de 10% que l’euro s’est aussi réévalué vis-à-vis du Yuan. L’euro se trouve donc au prise avec une difficulté interne ( une monnaie unique pour des économie différentes) et une difficulté externe, celle d’être pris en étau entre le yuan et le dollar, par incapacité politique à tendre la main aux pays émergents en proposant une alternative franche aux carcans de la mondialisation libérale et au règne du dollar. (4)

Jean Paul Duparc

(1) Elle supposerait une transformation systémique permettant à une unité monétaire commune, qui ne soit pas la monnaie d’un pays particulier (aujourd’hui le Dollar) d’être à la fois la monnaie d’un pays particulier et la devise internationale de fait.

(2) Seigneuriage : avantage financier qui découle du pouvoir de battre monnaie. Par extension, le « seigneuriage international » consiste dans le privilège des USA d’user de sa création monétaire, et de la dépréciation de cette même monnaie, pour financer sans peine ses déficits extérieurs tout en contraignant le reste du monde à accumuler des dollars.

(3) Bien sûr en « PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat », les écarts restent bien plus considérables : 46.000 dollars pour les USA et 3.000 pour l’Inde par exemple ; 33.000 pour la France

(4) Cet article s’inscrit dans le cadre de la préparation d’une conférence débat à l’initiatives des Amis de la Liberté qui aura lieu le jeudi 25 novembre. La semaine prochaine : « l’Euro, notre monnaie et notre problème"

 

http://le-patriote.info

Tag(s) : #Economie
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