Ce n’est pas de son travail pour un prestataire d’un opérateur privé que Mathieu a tiré la
lumière. Avec des commissions dérisoires, il a jeté l’éponge au bout de deux mois. Photo DM
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Dans le marché
libéralisé de l’énergie, les fournisseurs privés tentent de dépecer le mammouth EDF. Ex-commercial d’une société prestataire de services, Mathieu révèle quelles sont
leurs pratiques. Et pourquoi l’opérateur historique reste plébiscité...
Deux petits mois et puis s’en va. Pour Mathieu*, ex-employé dans une entreprise
héraultaise de contrat énergétique, l’aventure a tourné court. Embauché en janvier 2010, ce quadra jette l’éponge à la fin du mois suivant parce que, dit-il, « je ne
rentrais pas dans le moule ». Celui des commerciaux de terrain qu’emploient à la chaîne de nombreuses sociétés prestataires de services. Celle où Mathieu a fait un
passage éclair vend des contrats électricité pour le compte de fournisseurs d’énergie privés. Et pour se payer une part du gâteau, n’hésite pas à forcer la main aux
clients démarchés à domicile. « On nous incite à pousser les gens à la signature. C’est très intrusif comme méthode. Presque une vente forcée ». Or, Mathieu se sent plus
à l’aise dans la peau d’un conseiller de vente en magasin, « quand les gens viennent pour acheter ».
Chez le prestataire, c’est la loi du plus fort.
« Si ça peut embellir les choses et faciliter la signature du contrat, on vous pousse à glisser quelques petits mensonges », confesse-t-il. Exemple :
« On annonce des prix attractifs au kilo watt heure. Mais quand on rajoute l’abonnement, ils ne sont plus aussi intéressants ». Tous les moyens sont bons. « De toute
façon, si le client demande à réfléchir, c’est perdu. Le but du jeu, c’est de repartir avec le contrat signé ». Ces pratiques « one shoot » [ndlr : réussir son tir
commercial du premier coup] ne sont pas l’apanage des sociétés gravitant autour du marché de l’énergie. Dans la jungle libérale actuelle, elles sont même très répandues.
Mais les dépôts de plainte seraient conséquents dans ce nouveau secteur.
Pour les particuliers, le marché de l’énergie n’est ouvert à la concurrence que depuis juillet 2007. Très vite, bon nombre de fournisseurs privés,
flairant la mine d’or, s’y sont engouffrés, pensant dépouiller l’opérateur historique EDF. Mais les choses n’ont pas tout à fait tourné comme les actionnaires en
rêvaient. « La majorité des boîtes privées sont en train de mordre la poussière », assure Mathieu. C’est que 96% des usagers sont restés fidèles aux tarifs régulés du
mammouth. Pour l’ex-commercial, ce n’est pas tant que les prestations d’EDF soient très supérieures. Mais la société anonyme qui demeure publique à 80% (au contraire de
GDF**) jouit d’une immense notoriété. « EDF reste un mastodonte, les gens ont grandi avec, cela fait partie de leur vie ». Du coup, si certains usagers adhèrent au
discours des privés, ils peinent à franchir le pas. « Ils ont peur, s’imaginent qu’acheter du courant ailleurs ce n’est pas sérieux ».
Si leurs pratiques commerciales sont discutables du point de vue de l’éthique, les offres privées ne sont pourtant pas si ridicules. D’abord parce qu’il n’y a pas de
durée légale d’engagement. Ensuite parce que leurs prix sont de plus en plus compétitifs. Pour un temps du moins. « La plupart des privés garantissent des prix
inférieurs de 10% la première année ». Une attractivité qui peut être en trompe-l’œil puisque passé ce délai, « rien n’empêche un fournisseur d’augmenter ses prix et de
dépasser le tarif réglementé », nuance Mathieu. Autre inconvénient lorsqu’on fait le choix de sortir du tarif régulé, il faut attendre six mois pour pouvoir revenir chez
EDF. Trois ans après l’ouverture du marché, il est délicat de dresser un bilan précis. « Certains clients de fournisseurs privés ne sont pas contents du tout. D’autres
si », témoigne Mathieu après sa petite expérience dans le milieu qu’il a aussi quitté pour des raisons financières. « Mon statut de VDI (ndlr : vendeur à domicile
indépendant) était extrêmement précaire ». Payé à la commission, sans salaire fixe, ni remboursement des frais. De sorte « qu’ils n’ont même pas besoin de te virer. Si
tu n’es pas performant, tu pars de toi même parce que tu ne gagnes rien ».
S’il déplore « la mort à petit feu de tous les services publics » , Mathieu n’est pas pour autant un fervent défenseur d’EDF
GDF version entreprises du Cac40. Ce qu’il reproche aux anciens monopoles publics, c’est justement d’avoir abandonné leurs missions premières d’intérêt général. « Ils
sont gérés comme des entreprises privées. EDF pense plus à verser des dividendes à ses actionnaires (ndlr : 3,4 milliards en 2008) qu’au service public », critique
Mathieu. D’où, selon lui, une certaine perte de repères du côté des usagers. « La plupart des gens n’ont aucune idée de la situation actuelle du marché de l’énergie ».
Certains peuvent par exemple ignorer que GDF est devenu le principal concurrent d’EDF dans la guerre qui les oppose désormais. Ou que l’avenir rose promis par les
libéraux pourrait se révéler bien noir. « L’énergie va coûter de plus en plus cher. Si l’on ne veut pas payer sa facture d’électricité au prix fort, les conduites
éco-responsables ne devront pas rester que des principes ». Une roue de secours qui ne saurait être la solution à long terme pour tous les consommateurs.
* Le prénom a été changé.
** Dont la fusion avec Suez n’a laissé que 33% de parts à l’Etat.
Témoignage
Rémy Cougnenc
Photos David Maugendre
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