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Politique - Article paru le 30 mai 2008

Tout le monde chaussera du 48

35 heures . Le gouvernement veut profiter du projet de loi sur la représentativité syndicale pour permettre de fixer la durée hebdomadaire au niveau de l’entreprise. Les syndicats sont vent debout.

Attention, colis piégé ! Dans sa transposition législative de la « position commune » sur la représentativité syndicale, signée le 9 avril par la CGT, la CFDT, le MEDEF et la CGPME, le gouvernement a choisi de glisser une véritable bombe à fragmentation contre les 35 heures. L’avant-projet de loi, qui pourrait être présenté en Conseil des ministres courant juin pour arriver en première lecture au Parlement avant la mi-juillet, reprend, certes, dans ses premiers articles « l’esprit et la lettre », comme s’y était engagé Xavier Bertrand il y a deux semaines, de l’accord entre les deux principaux syndicats de salariés et le patronat, mais, dans sa seconde partie, le gouvernement poursuit, par surprise mais de manière spectaculaire, le démantèlement de la durée légale du travail en France. Mardi, Nicolas Sarkozy a « définitivement » écarté les velléités de certains députés UMP désireux de supprimer la référence à une durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires ; mercredi, Xavier Bertrand défend son avant-projet de loi qui doit permettre de sortir « définitivement », ici aussi, du « carcan imposé par les 35 heures ».

Derrière un paradoxe de façade, le bal des hypocrites et la farandole des idéologues. À l’époque des lois Aubry, le patronat s’y était opposé derrière le slogan « Tout le monde ne chausse pas du 35 » ; avec une durée légale plafonnée à 48 heures à l’échelle de l’Union européenne, tout le monde risque demain de chausser du 48 !

Au bulldozer contre les 35 heures

Si, pour la forme, le gouvernement maintient les 35 heures, c’est, en pratique, pour mieux renvoyer illico au niveau de l’entreprise la fixation de la durée du temps de travail. Ce qui constitue un pas de plus dans le retournement, largement amorcé depuis des années, de la hiérarchie des normes : selon ce principe essentiel du droit social, on ne peut négocier dans une entreprise que des dispositions améliorant un accord de branche, et dans une branche, que des mesures plus favorables pour les salariés que celles contenues dans un accord interprofessionnel. Or, sur tous les points traités dans son avant-projet de loi, le gouvernement pousse très loin le bouchon, sans même en passer dans tous les cas par la règle de l’accord « majoritaire ». Il en va ainsi de la généralisation des forfaits heures et jours : jusqu’ici, le « forfait heures annuel » était, par exemple, réservé aux salariés itinérants ; il pourrait, si le texte était adopté, être étendu à tous les salariés d’une entreprise dans laquelle un accord collectif l’aurait prévu. En ce qui concerne le « forfait jours », théoriquement toujours limité aux cadres et aux « salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée », l’avant-projet de loi prévoit qu’il pourra désormais - dépasser les 218 jours et que l’employeur pourra se passer de l’accord écrit du salarié ; ce sera au « dialogue social dans l’entreprise » de fixer cette durée maximale annuelle ou, faute d’accord collectif, aux directions d’entreprise ! Selon cet avant-projet, l’employeur accroît encore son emprise en matière d’annualisation et de modulation imposée ; dans bien des cas, la possibilité de déroger aux accords collectifs par le « gré à gré » entre employeur et salarié est pérennisée. Enfin, un accord d’entreprise pourra fixer le contingent annuel d’heures supplémentaires, non soumises à une majoration en termes de salaire, et assouplir les obligations en matière de repos compensateurs. Dans les faits, totalement à rebours des ambitions proclamées sur le « travailler plus pour gagner plus », ce texte permettra demain aux entreprises de faire travailler leurs salariés bien au-delà de la durée légale du travail, sans même avoir à leur verser d’heures supplémentaires.

Le patronat la joue tactique

Face à cette attaque, les syndicats sont vent debout, même si leurs divisions sur la représentativité syndicale ressurgissent à l’occasion de la manoeuvre gouvernementale (lire ci-dessous). Partisane affichée de l’abolition de la durée légale du travail et pasionaria des accords d’entreprise, Laurence Parisot, la présidente du MEDEF, demande néanmoins au gouvernement de « respecter la position commune » signée avec la CGT et la CFDT. La CGPME ne s’embarrasse pas, elle, de ces considérations tactiques et applaudit bruyamment l’initiative du gouvernement : « assouplir les contingents d’heures supplémentaires, c’est donner davantage de souplesse pour organiser le temps de travail en fonction des attentes réciproques de l’entreprise et des salariés », pontifie l’organisation patronale. Et pendant ce temps, l’inénarrable Christine Lagarde estime, au moment même où le gouvernement piétine le sacro-saint « dialogue social », que les critiques disjointes du MEDEF et des syndicats constituent « un bon début de négociation ».

Thomas Lemahieu

Tag(s) : #Politique
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