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Cultures - Article paru le 22 février 2008 dans l'Humanité

Les cinémas associatifs traités comme des boucs émissaires

Entretien. Le cinéma Jean-Eustache, à Pessac (Gironde), est dans le collimateur des poids lourds de l’exploitation. Analyse du conflit avec son directeur, François Aymé.

Pessac (Gironde),

envoyé spécial.

Dans le coin, c’est vite vu. Le Jean-Eustache est l’unique salle de Pessac. Avant-premières, débats, événements, dont le Festival international du film d’histoire, sont le pain quotidien du lieu. Résultat : la confiance du public a entraîné celle des édiles, permettant au Jean-Eustache de s’agrandir. Un hall spacieux (400 m²) permet de profiter des expositions, de lire la presse mise à disposition en buvant un verre ou de consulter son courrier électronique. Tout a été pensé, jusqu’à l’immense cabine de projection, qui peut être visitée par des classes ou se prêter à des stages de formation. 780 fauteuils répartis dans cinq salles répondent à la diversité des goûts. Mais voilà. Cette salle associative subventionnée est dans la zone de chalandise de Bordeaux, la ville la mieux dotée de France en écrans par rapport à sa population (9 salles à l’UGC Cité Ciné, 17 au Mégarama, 4 à l’Utopia, plus l’unique écran du Jean-Vigo, lieu historique de l’art et essai soutenu par la ville). Pas étonnant que le directeur du Jean-Eustache, François Aymé, soit l’auteur du manifeste « Exploitation cinématographique : les salles municipales, boucs émissaires de l’imprévoyance des circuits » (à lire sur http://www.webeustache.com) et qu’il préconise une intervention collective, pouvant prendre la forme d’une fermeture ce soir. Rencontre.

Pourquoi ce manifeste ?

François Aymé. Nous ne sommes pas dans une profession où les gens sont habitués à se mobiliser collectivement. Ce n’est pas un hasard si le mouvement est parti des associations. J’ai eu envie de bouger quand Utopia a attaqué le Jean-Eustache, mais, en fait, tout commence à Cannes quand Jean Labé, le président de la Fédération nationale des cinémas français, déclare qu’il faut que le cinéma relève de l’industrie et non de la culture. C’est alors qu’UGC a émis des recours contre des salles municipales et contre le Comoedia à Lyon, un cinéma privé. On accuse les opérateurs de toucher des subventions, ce qui relèverait de la concurrence déloyale. Mais tout le cinéma est subventionné, ce qu’UGC ne rappelle jamais, via l’aide à l’exploitation et le Fonds de soutien à l’investissement. Cela représente 11 % de la recette, donc, si UGC a trente multiplexes, il peut additionner les aides pour ouvrir le suivant. Le système lui a permis de se moderniser. C’est l’aide automatique. Par ailleurs, il y a le Fonds de soutien sélectif, donné sur des critères d’art et essai tenant compte du travail fait et de l’aménagement du territoire, d’où le procès d’intention fait au Comoedia pour avoir eu du sélectif alors qu’il n’était pas encore art et essai. C’est une entreprise de dissuasion de l’intervention municipale. Un maire va réfléchir davantage avant de songer à agrandir. L’aide au fonctionnement que reçoivent les 1 000 salles concernées représente une enveloppe de 45 millions d’euros, soit seulement environ 5 % du budget d’une salle. Utopia n’a jamais demandé l’augmentation de cette enveloppe. Il y a encore l’aide au tirage de copies, grâce à l’Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC), qui, depuis vingt-trois ans, permet d’avoir les copies moins tard. C’est ce qui permet d’avoir 130 cinémas en Aquitaine, dont 80 art et essai. Seul l’Utopia est en gestion privée, mais sans être présent dans les petites communes depuis la fermeture de sa salle de Bayonne.

Pourquoi le conflit surgit-il maintenant ?

François Aymé. La coexistence privé-public existe depuis 1984, date de la création de l’ADRC. Avant, jamais on n’avait pensé l’intervention publique en termes d’aménagement du territoire. Pourquoi cette coexistence tourne-t-elle à l’affrontement ? Je vois plusieurs raisons. L’une est politique. Avec l’élection de Sarkozy, des opinions qu’il était malvenu d’afficher mais qui étaient sous-jacentes remontent. C’est la défiance vis-à-vis de l’intervention publique. Une autre vient de l’évolution de la fréquentation. Si lprend l’historique de celle-ci, une période va de 1995 à 1999, durant laquelle UGC, Pathé, Gaumont et CGR se lancent dans les multiplexes, un investissement colossal. Ces groupes pensent que le confort, l’accessibilité, bref les multiplexes sont la solution pour augmenter les entrées. Ils vont mettre quatre ans à se rendre compte que de belles salles ne suffisent pas. Encore faut-il qu’il y ait du désir pour un film. Après des années de hausse de la fréquentation, en 1999, les entrées baissent. UGC crée la carte illimitée qui garantit la venue au cinéma même si c’est une année sans Titanic et Dîner de cons, qui ont rempli les salles en 1998. Mais attention, dans d’autres secteurs d’activité où des concurrents se font la guerre, pour vendre, on diminue la marge. Dans le cinéma, c’est impossible. Sur 100 euros, il y a 18 euros de part fixe. Le reste se partage à égalité entre distributeur et exploitant. On ne peut pas diminuer sa marge sans diminuer celle du distributeur. Donc, UGC donne une garantie distributeur et invente la carte illimitée qui remet tout en cause. Il y a la recette que l’on déclare et celle encaissée. D’un côté, UGC vend sa carte 19,90 euros par mois hors frais de dossier, de l’autre il déclare des billets à 5,06 euros, prix assez élevé pour avoir avec lui les distributeurs. Si le client vient quatre fois, UGC est perdant. C’est un pari économique qui repose sur l’idée que les gens vont venir assez mais pas trop, dans l’espoir aussi que cela va générer de la confiserie et de la pub. Mais la carte est un système extrêmement périlleux. De surcroît, UGC jouant la surenchère, la concurrence a été forcée de faire de même. Mon intuition (le nombre de cartes vendues est protégé par le secret commercial) est que le système est trop pénalisant, d’où cette agressivité soudaine. Les cinémas associatifs deviennent les boucs émissaires de la crise. Il y a peut-être 2 à 3 % de public à piquer. Ils veulent le faire, quitte à fragiliser le système. Des petits distributeurs vont disparaître. MK2 et Utopia remettent en cause le système qui leur a permis de se construire. Cela parce que tout le monde est en baisse sauf la petite exploitation.

Y a-t-il d’autres raisons à cette guerre ?

François Aymé. Ils n’ont pas vu que la société avait changé. On continue à faire les mêmes multiplexes qu’il y a dix ans, avant les DVD qui datent de 2000, les téléphones portables, etc. Il y a un vieillissement du public. En 1980, plus de 50 % du public était dans les 15-24 ans. Aujourd’hui, c’est moitié moins. On a fait des multiplexes pour les jeunes, avec pop corn et jeux vidéo, alors qu’ils vont et iront de moins en moins au cinéma. Aussi, depuis quarante ans, on sort les films de la même manière, en oubliant qu’on peut les pirater sur Internet, que les familles dépensent 100 euros par mois pour le téléphone portable s’ils ont trois gamins, etc. On est dans une logique intensive. Pas un distributeur à qui on demande un film ne s’occupe de ce qu’on peut faire autour. On est dans la surenchère sur certains films au détriment des autres. Pour moi, programmer, c’est voir le film puis écrire dessus pour créer des liens avec le public, devenir non-prescripteur mais au moins conseiller. D’où la différence économique avec le circuit Utopia. Eux rédigent leur gazette pour toutes leurs salles. Moi, je n’ai que Pessac et cela prend le même temps. Nous ne sommes pas à égalité économiquement.

D’où l’appel à la fermeture des salles ce soir ?

François Aymé. Oui. Il s’agit d’un appel à une fermeture symbolique après 21 heures, en compensant la séance par une autre. Il faut que la mobilisation soit importante.

Entretien réalisé par Jean Roy

Tag(s) : #CULTURE
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