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International - Article paru le 26 octobre 2007 dans l'Humanité

 

Comment rapprocher l’Europe de « son » Sud ?

Union méditerranéenne . Le projet de Nicolas Sarkozy répond à un besoin mais est marqué par des priorités libre-échangistes et sécuritaires qui ont conduit à l’échec le précédent Euromed.

À Tanger, Nicolas Sarkozy a appelé à la création d’une Union méditerranéenne (UM) amenée à se substituer à l’Euromed (partenariat euroméditerranéen). Ce dernier, lancé en grande pompe à Barcelone, en novembre 1995, avait le mérite d’être clair. D’inspiration néolibérale, il visait à instituer une vaste zone de libre-échange à l’horizon 2010. La création d’une « zone d’intégration économique et de prospérité partagée », selon la rhétorique de ses promoteurs, était présentée comme la condition pour « instaurer la paix ».

accélération

des réformes libérales

Des trois volets de la déclaration de Barcelone - un volet politique et sécuritaire, un volet économique et financier et un volet social, culturel et humain -, les efforts de l’UE se sont surtout concentrés sur le second. Et le moins qu’on puisse dire est que l’Europe n’a pas réussi à répondre à l’enjeu de l’« instauration de la paix et de la stabilité ».

La situation a empiré au Proche-Orient, et Israël, qui n’a jamais manifesté un enthousiasme particulier envers l’Euromed, persiste dans sa volonté d’annexer des pans entiers de la Cisjordanie. De plus, depuis le 11 septembre 2001, la guerre en Irak, les attentats de Madrid et de Londres et la persistance de la menace islamiste au Maghreb et en Égypte, l’UE a plutôt privilégié une politique sécuritaire mêlant volontairement la lutte antiterroriste à la lutte contre l’immigration illégale.

Rien d’étonnant dès lors à ce que, mettant entre parenthèses la démocratie, le respect des droits de l’homme et les libertés qu’entendait promouvoir la déclaration de Barcelone, l’UE ait opté pour la stabilité des régimes en place, fermant les yeux sur les multiples violations des droits humains.

En revanche, sur le plan économique et financier les « avancées » sont importantes. Au profit de l’UE, bien sûr ! Les accords bilatéraux de libre-échange signés entre Bruxelles et chacun des pays du Sud se sont ainsi traduits par l’élimination des barrières douanières et la levée de toutes les entraves à la libre circulation des capitaux et des marchandises, le démantèlement progressif du secteur économique d’État et, partant, l’accélération des réformes libérales.

Quant aux aides financières - Meda II et Femip (facilité euroméditerranéenne élargie) - destinées à accompagner les réformes structurelles et à aider à la modernisation des infrastructures, elles n’ont représenté que 2,3 milliards d’euros (moins que n’en a reçu la Pologne au titre des fonds européens structuraux) au lieu des 17 milliards d’euros prévus.

Autre exemple : pour stabiliser le chômage dans les pays du Sud à son niveau de 2000, il aurait fallu créer 20 millions d’emplois à l’horizon 2010 sur la base d’un taux de croissance de 7 % par an. Or, force est de constater qu’au regard d’un taux de croissance moyen d’environ 4 % le taux moyen de chômage est resté au-dessus de la barre des 10 %.

La question est donc de savoir ce qu’apporterait de plus le projet d’UM de Nicolas Sarkozy. Qu’en serait-il des dispositifs institutionnels et financiers mis en place pour aider à la transition économique des pays du Sud ? Qu’en serait-il de tout ce qui a été entrepris depuis 1995 ? Faudrait-il tout remettre à plat et repartir de zéro ? Le président français s’est abstenu de définir les grands contours de son projet. Il s’est borné à constater qu’il fallait « aller encore plus loin » que ce qui a été entrepris depuis Barcelone. « Oser imaginer autre chose qui pourrait tout changer (…), passer à une autre échelle, à une autre vitesse, pour faire basculer le destin », s’est-il exclamé.

« sur le chemin

de la paix

et de la fraternité »

Pour le chef de l’État - usant comme à son habitude d’une rhétorique ronflante -, « c’est en Méditerranée que tout se joue, et que nous devons surmonter toutes les haines pour laisser la place à un grand rêve de paix et de civilisation ». Et d’évoquer une volonté de faire de la Méditerranée « le plus grand laboratoire du codéveloppement, où le développement se décide ensemble et se maîtrise ensemble… », ou encore la nécessité pour les pays du Sud de prendre pour modèle l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui a réussi à « surmonter » les violences et les haines pour s’engager « sur le chemin de la paix et de la fraternité ».

Sauf que le Sud méditerranéen ne sort pas d’une guerre contre l’Europe mais qu’il fait face à des défis qui ont pour noms : détérioration des termes de l’échange, sous-développement social et économique, endettement, chômage, paupérisation et autoritarisme des régimes en place.

Si les enjeux de la construction d’un lien renforcé entre l’Europe et son Sud méditerranéen sont bien réels, Nicolas Sarkozy se garde bien, au-delà de ces belles paroles, de pointer les raisons de l’échec du processus de Barcelone. Et pour cause : sur le plan économique et social, c’est la poursuite de la politique libre-échangiste, qui a tant contribué à accentuer les déséquilibres sociaux et politiques dans différents pays du pourtour méditerranéen, qui reste à l’ordre du jour. Tout comme l’enfermement dans une politique de « coopération » sécuritaire destinée surtout à intégrer ces pays dans la surveillance de l’immigration.

Et c’est totalement dans cet esprit que le président français propose un sommet de tous les pays de la Méditerranée en juin 2008 à Paris. Reste à savoir aussi comment concrétiser un tel choix géopolitique, alors que par ailleurs ni Israël ni Washington, avec qui Sarkozy affiche une grande proximité politique, ne veulent en entendre parler. Et comment la mise en place d’une politique d’immigration sélective s’inscrivant dans le cadre d’une Europe forteresse, pourrait être compatible avec une Union méditerranéenne qui autoriserait, si l’on en croit le projet de l’Élysée, la… liberté de circulation des personnes.

Hassane Zerrouky

Tag(s) : #Europe
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