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Société - Article paru le 16 juillet 2007 dans l'Humanité
La gauche en débat Résister-reconstruire

À la Madeleine, les communistes parlent sans tabou

Dans ce quartier populaire d’Évreux, dans l’Eure, les militants digèrent difficilement le score de leur candidate à la présidentielle. Ils s’interrogent sur l’avenir, le leur et celui de leur parti.

Évreux, envoyée spéciale

L’immensité du territoire désoriente l’étranger qui pénètre pour la première fois dans le quartier de la Madeleine, à Évreux, dans l’Eure. Des tours, de petits immeubles, des pavillons se dressent anarchiquement dans cet espace qui concentre 23,5 % des 51 000 habitants de la ville. « Moi-même, je m’y perds, l’urbanisme y est sans âme », commente Serge, architecte, l’un des cinquante-cinq membres de la cellule communiste de la Madeleine (voir ci-dessous), quartier classé ZUS, « zone urbaine sensible », pour nommer pudiquement la mal-vie.

Comme Serge, la plupart des adhérents sont particulièrement attachés à leur cité, où ils vivent depuis des décennies, même si, encore plus qu’en centre-ville, il n’est pas toujours facile d’y être un communiste heureux. Surtout après le score de Marie-George Buffet au scrutin présidentiel (1,8 % dans les sept bureaux du quartier, contre 2,04 % à Évreux). « Je n’ai pas senti venir ce résultat. Ça m’a fait mal, où est-ce que l’on va ? » s’interroge Annick, 60 ans, ex-secrétaire comptable. « En découvrant le score, je me suis dit que seuls les communistes avaient voté pour notre candidate », se souvient Michel, 61 ans, secrétaire de la cellule, ex-cuisinier-serveur. Il faut dire que les militants s’étaient démenés durant toute la campagne électorale, distribuant des tracts, organisant du porte-à-porte et des rencontres publiques. « J’ai pris une semaine sur mes congés pour y participer », se désespère Sylvie, agente administrative.

Aujourd’hui, les uns et les autres s’interrogent, tentent de comprendre pourquoi cela n’a pas fonctionné, pourquoi cela ne marche plus. Très affectée par le résultat de Marie-George Buffet, Sylvie se remémore les discussions avec les habitants. « Nos propositions ne leur paraissaient pas crédibles. Ils pensent qu’on rêve en exigeant le smic à 1 500 euros. On nous aime bien, mais on ne nous prend pas au sérieux, d’autant que nous sommes un petit parti, sans pouvoir. » Un manque de crédibilité qu’évoquent l’ensemble de nos interlocuteurs. Michel note : « J’étais davantage écouté quand j’étais conseiller municipal. Les communistes comptaient plus quand ils dirigeaient la mairie. Nous faisions de l’action sociale, nous pouvions aider concrètement. » Christian, secrétaire fédéral du PCF, résidant depuis trente-cinq ans à la Madeleine, précise : « Les candidats détenteurs d’un pouvoir local ont plus de poids auprès des gens, qui attendent des réponses concrètes, rapides à leurs problèmes. C’est humain. Le PCF ne leur apparaît sans doute pas comme une force qui soit en capacité de résoudre leurs difficultés. »

À l’image des « zones urbaines sensibles », la Madeleine souffre d’une accumulation des maux engendrés par la société capitaliste. Les taux de chômage, d’échec scolaire, de érémistes ou de familles monoparentales (voir repères) donnent le tournis aux militants, qui voient derrière les pourcentages des personnes de leur connaissance, habitants, voisins ou adhérents. Maryvonne, travailleuse sociale, ne veut pas s’habituer à la misère qui l’entoure. « Régulièrement, je me trouve face à des gens qui sombrent dans la déchéance après un licenciement et la séparation familiale. Le chômage détruit les êtres humains, c’est un vrai cancer… » Elle enchaîne : « Quand j’entends le « travailler plus pour gagner plus », j’ai envie d’exploser. »

Maryvonne situe au début des années 90 un changement de population : « Les cadres, les ouvriers et les fonctionnaires se sont faits rares. Et il y a eu l’arrivée des immigrés… » Elle aussi s’est « effondrée » à l’annonce du score de Marie-George Buffet. « Je n’y comprends plus rien. On s’est pourtant démenés… » La réunion de cellule, au lendemain des élections législatives, ne suffit pas aux communistes du quartier, ils entendent donc approfondir leurs réflexions après les vacances d’été, que plusieurs passent sur la côte normande, faute de moyens financiers ou par habitude. Mais en attendant de plus amples analyses, Michel souligne : « Nous passons notre temps à constater les difficultés, nous manquons de crédibilité car nous sommes impuissants face aux problèmes qui existent depuis des années et qui s’ajoutent les uns aux autres. »

Plus fondamentalement, ces hommes et ces femmes engagés dans une cité pas vraiment simple à apprivoiser estiment que leur parti demeure « trop timide » sur les questions d’insécurité, de délinquance, de drogue ou d’économie souterraine, de mal-être, qui minent les quartiers populaires, le leur particulièrement. « Les problèmes de voisinage rendent encore plus aléatoire la mixité sociale. Il ne faut pas le nier. On a trop tendance à cacher la réalité, car on n’entrevoit que des réponses réactionnaires à ces questions. On peut pourtant réfléchir avec les gens aux solutions à partir des valeurs de gauche », assure Michel. Annick, bénévole aux Restos du coeur, fait partie des nombreux locataires qui ont quitté une des tours, où elle a résidé seize ans, pour habiter un petit immeuble du quartier. Certes, le logement était trop petit pour sa famille de six membres mais, fondamentalement, elle ne supportait plus que ses enfants « subissent des agressions. Ils ne pouvaient plus jouer dehors. Ça s’est très vite dégradé. J’ai eu peur qu’eux-mêmes ne prennent le mauvais chemin ».

Annick, comme les autres communistes, aime pourtant la Madeleine, y trouve une certaine solidarité, une entraide de plus en plus rare à mesure que se répand l’individualisme. Ici, on est loin de la ghettoïsation constatée dans de nombreuses cités de France. Si la voie ferrée isole le quartier du centre-ville, il est toutefois bien desservi en transports urbains et la vie sociale reste encore palpable. Les communistes s’y sentent à l’aise et voudraient que leur parti les aide dans leur activité militante, notamment en étant « à l’offensive sur les questions de sécurité, entre autres, explique Christian. Cela fait partie du quotidien des gens, ça ne sert à rien de faire l’autruche. Il faut en débattre, comme on le fait naturellement sur l’emploi ou sur l’école, sinon on n’est pas compris. Et on laisse la place aux idées racistes et conservatrices. » Le congrès extraordinaire, prévu en décembre, motive les militants de la Madeleine. Ils en attendent une confrontation d’idées « sans tabou » sur ce que sont devenus les cités et les quartiers populaires et comment engager la lutte pour les reconquérir. Mais d’aucuns redoutent particulièrement ce moment qu’ils estiment décisif pour l’avenir du PCF. Combien de fois n’ont-ils pas exprimé leur incertitude. « Je suis perdue, je ne sais pas où va le parti. » Parole prononcée par Sylvie, Maryvonne, Annick ou France, une jeune assistante sociale. Cette dernière précise : « Ce congrès m’intéresse tout en me foutant la trouille, j’ai peur d’un congrès de Tours à l’envers, peur que l’on perde notre identité, qu’on fasse comme en Allemagne. » Allemagne, Italie ou Espagne reviennent régulièrement dans les propos, comme pour bien affirmer le refus que le PCF suive la voie des formations communistes de ces territoires européens.

Le poids des pays de l’Est continue de les traumatiser. « Ça nous colle à la peau », lâche Maryvonne. Ce passé handicape, selon eux, l’influence communiste, surtout parmi les jeunes. Mais c’est l’histoire plus récente, celle de la gauche plurielle, qu’évoquent sans retenue nos interlocuteurs. France : « À trop vouloir s’acoquiner avec les socialistes, on a perdu notre identité. » Michel : « Il faut se démarquer de l’emprise du PS. » Maryvonne : « J’ai mal vécu la période Jospin et les ministres communistes. On a eu du mal à faire entendre notre propre voix. Mon fils de trente ans me demande quelle différence existe entre le PCF et le PS. » Sylvie : « Le programme commun a été la première grande erreur, le début de la dégringolade. On s’est fait "engrener" par le PS, comme disent les jeunes d’ici. »

Un brin désorientés par le débat sur la mort ou pas du PCF, les militants de la Madeleine croient majoritairement à l’avenir d’une formation communiste, car, pour eux, « l’idéal communiste existe ». Pour France, « si ça ne marche pas aujourd’hui pour le PCF, c’est parce qu’il a perdu la bataille des valeurs, est devenu un parti électoraliste, s’est adapté à la société capitaliste, fustige le libéralisme et pas le capitalisme ». Le changement de nom ne fait pas l’unanimité, même si plusieurs militants n’en font pas un préalable au débat. Maryvonne confie ses doutes : « J’étais une vraie de vraie, et je me dis qu’il faut peut-être changer de nom. J’accepte de perdre mes repères, si c’est pour reconstruire quelque chose avec les gens. On ne peut faire l’économie d’un débat au sein du parti sur cette question. » Aucun des militants n’élude ce sujet mais tous souhaitent qu’il n’efface pas les questionnements sur l’état actuel de la société française, l’activité et les positionnements du PCF ces vingt dernières années. Enfin, tous souhaitent une réflexion sur le projet communiste, bien au-delà des propositions concrètes émises lors de la campagne présidentielle.

Mina Kaci

Tag(s) : #DEBAT après le 17 juin 2007
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