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Les derniers témoins ukrainiens de la « Shoah par balles »

Pour la première fois au monde, une exposition scientifique présente un aspect mal connu du génocide : les exécutions de masse de juifs en Ukraine entre 1941 et 1944.

 

 

« Les Fusillades massives de Juifs

en Ukraine 1941-1944 »,

exposition présentée au mémorial de la Shoah, à Paris, du 20 juin au 30 novembre 2007 (1).

« Je ne l’ai vu qu’une fois, c’était trop affreux. » En 1941, Adolf Wislowski avait onze ans et vivait dans la région de Lvov, à l’ouest de l’Ukraine occupée par les nazis. Alors qu’il faisait paître sa vache non loin de la ferme de ses parents, il a assisté à une exécution de juifs. Horrifié, il n’a plus jamais cherché à assister aux massacres qui se sont poursuivis, plusieurs années durant, à quelques centaines de mètres de sa ferme, et dont il continuait à entendre « les tirs et les cris », de jour comme de nuit. Depuis, l’Ukraine, devenue soviétique, a connu d’autres massacres, d’autres tragédies. Mais Adolf Wislowski n’a jamais déménagé, et la mémoire de ce qu’il a vu est restée intacte.

En 2005, il a raconté, face caméra, à l’endroit même où il avait assisté aux exécutions, comment les nazis avaient ordonné aux juifs de se déshabiller, de poser leurs vêtements dans des caisses, de courir vers la fosse, avant d’être exécutés à la mitrailleuse. Son témoignage minutieux est l’un des éléments de l’exposition qui vient de s’ouvrir au mémorial de la Shoah à Paris et qui, pour la première fois au monde, présente des travaux scientifiques restituant l’horreur des fusillades massives des juifs en Ukraine entre 1941 et 1944.

Voilà six ans que le Père Patrick Desbois et son équipe sillonnent l’Ukraine pour retrouver, village après village, les lieux où s’est déroulée cette « Shoah par balles ». Un million et demi de juifs mis à mort par arme à feu pendant la durée de la guerre. Six ans de recherches : arrivée discrète dans le village dans une petite camionnette. Svetlana, l’interprète, descend, en éclaireuse, se fond dans le décor, rencontre une personne, une autre, interroge : « Madame, vous étiez là pendant la guerre ? Alors vous pouvez nous aider », expliquant alors le projet, sa dimension historique, le musée. Si cela ne suffit pas à retrouver les témoins, l’équipe sollicite le maire ou le curé. Ensuite, à l’appui de documents d’archives soviétiques et allemandes, commence un long entretien devant la caméra, avec les témoins des massacres. Ils avaient entre six et seize ans pendant la guerre, le plus souvent des femmes, et ont tout vu, soit parce que l’horreur s’est déroulée devant eux, parfois sous leurs fenêtres, soit parce qu’ils ont été réquisitionnés pour creuser les fosses, « où jeter de la chaux sur les corps qui bougeaient encore ».

Six ans d’un travail de fourmi, six ans à entendre ces témoignages de l’horreur, « les dents qu’on arrache aux juifs avant de les tuer », « le sang qui remonte de terre », « les gens enterrés vivants ». Avec le temps et l’expérience, la démarche s’est « professionnalisée ». L’équipe s’est élargie à des photographes et cameramen professionnels, des étudiants et un expert en balistique. « Convergence de preuves », convergence de documents, archives et témoignages. Un travail inédit et précieux qui permet de « voir sur le terrain dans quelle mesure les archives rendent compte des massacres, précise l’historien Édouard Husson. On était loin de tout savoir, on sous-estimait les sites d’extermination, on connaissait mal le fonctionnement de ces commandos qui ont exterminé leurs victimes, de village en village. À la mi-juillet 1942, Hitler a installé son QG en Ukraine, Himmler a fait de même quinze jours après. Ils rêvaient d’en faire le coeur de leur empire. Il y a tellement de sites d’extermination que ça nous oblige, nous historiens, à repenser la façon dont on considère la Shoah ». Le père Desbois estime à plus de deux mille le nombre de fosses qu’il lui reste à localiser.

(1) 17, rue Geoffroy-l’Asnier, Paris 4e.

Tél. : 01 42 77 44 72. Du dimanche au vendredi, de 10 heures à 18 heures ; jeudi jusqu’à 22 heures.

Anne Roy

 

Tag(s) : #Histoire
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