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29 mai 2005 : Deux ans après le non au référendum

Chronique de Jacques Nikonoff

jeudi 31 mai 2007 / "le Patriote"

Deux ans déjà ! Et pourtant, que le 29 mai 2005 parait loin ! Ce jour-là, une large majorité des citoyens de notre pays votait " non " au référendum sur la Constitution européenne : le peuple français faisait voler en éclat la tentative de vitrification de l’eurolibéralisme. Où en sommes-nous deux ans après ?
Les électeurs n’ont pas changé d’avis depuis le 29 mai 2005
Les électeurs n’ont pas changé d’avis depuis le 29 mai 2005. Ils n’ont pas " viré à droite ". L’emploi, la santé, la retraite sont toujours en tête des préoccupations des citoyens, qui dénient à l’Union européenne un quelconque rôle positif dans ces domaines. L’ " idéologie néolibérale " n’a pas repris le dessus après la présidentielle 2007, comme des analyses de circonstance tentent de le faire croire, à gauche et à la gauche de la gauche, afin de masquer l’échec de ces dernières. Il est en effet plus facile d’accuser les citoyens de ne " rien comprendre " que de regarder en face ses propres lacunes.
La victoire du 29 mai 2005 a reposé sur la convergence de la question sociale et de la question nationale. Le néolibéralisme, par essence, est une politique fondée sur des choix de production et un partage des richesses défavorables au travail et favorables au capital : c’est la question sociale. Dans le même temps, afin de parvenir à cet objectif, il prône l’affaiblissement des nations et leur fusion dans un vaste marché libéré de toute " entrave " : c’est la question nationale.
Des millions de citoyens, de gauche, de droite et de nulle part, sont farouchement attachés à leur pays, même si leurs raisons sont différentes. Or, dans la pratique, la mondialisation, qui n’est que la mise en œuvre de l’idéologie néolibérale, cherche à limiter volontairement l’influence des Etats et des nations. C’est contre cette idéologie et ses résultats en Europe que se sont dressés les électeurs du " non de gauche ". C’est contre le " système de Bruxelles " et l’abandon de la souveraineté nationale que se sont dressés les électeurs du " non de droite ", qu’il ne faut pas confondre avec le " non " nationaliste et xénophobe de l’extrême droite. Au total, la substance du vote " non " de 2005 a reposé sur des voix de gauche antilibérales portant la question sociale, et sur des voix de droite attachées à l’indépendance et à la souveraineté de la France, portant la question nationale.
La dimension nationale est systématiquement refoulée par une partie de la gauche et de la gauche de la gauche
Pourtant – et c’est probablement l’une des principales explications de la défaite de Ségolène Royal – la dimension nationale est systématiquement refoulée par une partie de la gauche et de la gauche de la gauche. Parler de la nation, de la France ou de leurs symboles est devenu un véritable tabou. Dès qu’il y est fait allusion, les procureurs se dressent et hurlent " nationalisme ! ", " souverainisme ! ", " populisme ! ". Faudra-t-il désormais détester la France pour être admis au sein du nouveau " cercle de la raison " constitué d’une partie de la gauche et de la gauche de la gauche de la gauche de la gauche ?
Deux ans après le 29 mai 2005, plus que jamais, la question politique qui domine toutes les autres reste celle des marges de manœuvre réelles de la France dans l’eurolibéralisme mondialisé. Autrement dit, est-il possible de mener d’autres politiques économiques et sociales malgré et contre ce type de " construction " européenne, malgré et contre les politiques de mondialisation. C’est en posant la question de cette manière – l’indépendance et la souveraineté nationales nécessaires à la conduite de politiques de progrès – que les risques nationalistes et xénophobes seront écartés.
Si les causes du " non " sont intactes aujourd’hui, sa victoire a été dilapidée par une gauche et une gauche de la gauche qui doivent réaliser leur " big-bang " politique, avec la question européenne comme épicentre.
Toutes les raisons du vote " non " demeurent
Le bilan accablant de cette " construction " européenne n’a pas changé et s’est même s’aggravé en deux ans. Au lieu de parler de " construction ", il vaudrait mieux d’ailleurs parler d’une " déconstruction " de la démocratie et de l’Etat social.
Cette Constitution a aussi été rejetée car elle résultait d’une monstruosité démocratique. Elle fut un coup monté orchestré par Monsieur Giscard d’Estaing et les membres de la " Convention pour l’avenir de l’Europe " qui, sans mandat et sans débat public, ont fait accepter aux gouvernements de l’Union l’idée qu’il fallait une Constitution européenne. Pourtant, une Constitution ne doit pas être octroyée par les puissants qui ne peuvent écrire le droit du droit qu’est une Constitution. Elle doit être établie par le peuple lui-même, à travers une assemblée constituante indépendante des pouvoirs en place, et respectant une procédure publique et contradictoire. En établissant une Constitution par voie de traité, même soumis à référendum, et non par une assemblée constituante, les parlements et gouvernements de l’Union ont bafoué la souveraineté populaire. Ce traité constitutionnel européen, par sa genèse, était déjà un abus de pouvoir.
Mais il y a plus. Cette " construction " européenne n’a fait que renforcer le terreau sur lequel prospèrent l’absentéisme, le populisme, le nationalisme et l’extrême droite. La xénophobie et le racisme ont fait tâche d’huile. Dans la plupart des pays de l’Union, des partis populistes et d’extrême droite ont proliféré : Autriche, Pays-Bas, France, Allemagne, Belgique… L’Union européenne n’a été qu’un vaste atelier de fabrication de l’extrême droite.
La Constitution ne proposait en réalité que de poursuivre dans cette voie antisociale et antidémocratique et même d’accélérer le mouvement, la dépendance à l’OTAN et aux Etats-Unis en plus. Elle ambitionnait de graver dans le marbre l’hyper-libéralisme.
De surcroît, après la victoire du " non ", les autorités publiques – chef de l’Etat, Premier ministre, gouvernement – ont donné le spectacle affligeant du mépris de la souveraineté populaire. Elles auraient dû œuvrer, en effet, au sein des institutions européennes, conformément au résultat du référendum et qui était un mandat du peuple.
Néanmoins, durant cette période, la " construction " européenne est mieux apparue pour ce qu’elle était, au-delà de la rhétorique larmoyante qui l’a accompagnée depuis sa création : une machine de guerre du milieu des affaires contre les peuples. Ce n’est pas à la construction de l’Europe que nous assistons, mais à la construction du libéralisme à l’européenne.
La victoire du " non " a été dilapidée
Malgré la dynamique extraordinaire qui s’était développée pendant la campagne, la victoire du " non " a été dilapidée. Dès le lendemain du 29 mai 2005, l’entreprise de destruction a commencé. Trois phénomènes ont joué : le refus du PS de reconnaître la réalité, les déficiences stratégiques de la gauche de la gauche, l’offensive menée contre Attac.
La direction du Parti socialiste, dont la majorité des membres avait appelé à voter " oui ", est restée piégée par son pacte implicite avec la droite pendant la campagne référendaire de 2005. Le PS, ces deux dernières années, n’a présenté qu’une opposition molle aux politiques néolibérales mises en œuvre par un gouvernement dont était membre Nicolas Sarkozy. Les Conseils régionaux, qui étaient tous passés aux mains des socialistes, à part l’Alsace, en 2004, n’ont en rien constitué le " bouclier antilibéral " qu’on nous promettait.
Au lendemain de sa défaite sur le référendum, le PS n’a tiré aucune leçon. Il n’a pas vu que sa base sociale – classes populaires et moyennes, jeunes – rejetait cette forme de construction européenne mondialisée. Par son silence, il a cautionné le refus de la droite au pouvoir de reconnaître le verdict du peuple qui imposait d’agir vigoureusement au sein des institutions européennes pour en modifier la politique. En outre, il a commis l’erreur qu’il ne fallait pas commettre : désigner un candidat à l’élection présidentielle favorable au " oui ". Une fois désignée avec l’aide complaisante et active des médias qui voulaient empêcher à tout prix la présence d’un partisan du " non " au second tour, la candidate socialiste est restée dans l’univers intellectuel de la " parenthèse " de 1983, lorsque la majorité du Parti socialiste a renoncé à " changer la vie " et s’est alignée, globalement, sur les politiques néolibérales.
La division de la gauche de la gauche
Toutes les composantes de la gauche de la gauche avaient appelé à voter " non ". Celui-ci vainqueur, les jalousies, les ego, les appétits personnels et les jeux d’appareils ont alors pris le dessus, chacun croyant récupérer à son profit, dans la perspective de la présidentielle, une part significative du gâteau électoral du " non ".
Les trois partis trotskystes (Ligue communiste révolutionnaire, Lutte ouvrière, Parti des travailleurs) – situation totalement ridicule – ont alors présenté chacun un candidat. Ils sont apparus comme diviseurs, sectaires, et développant des programmes aux contenus souvent incantatoires, semblant être principalement préoccupés par la gestion de leur boutique et la concurrence qu’ils se livrent entre eux et avec le PCF. La bonne bouille d’Olivier Besancenot, qui connaît déjà tous les trucs pour bien passer à la télévision, ne pourra cependant constituer la moindre perspective politique.
Marie-George Buffet et José Bové, chacun à sa manière, n’ont suscité aucun enthousiasme ni provoqué la moindre dynamique. La première n’a pas fait le bilan et tiré toutes les conséquences de la disparition des pays du " socialisme réel " ni de la participation communiste aux différents gouvernements socialistes. Le second est resté dans un registre étroit et trop centré sur sa personne, au contenu essentiellement protestataire. Se présentant comme candidat " altermondialiste ", la modestie de son score affecte l’ensemble du mouvement altermondialiste et risque de l’affaiblir durablement en France.
Quant à la transformation des collectifs pour le " non ", qui avaient fait un excellent travail pendant la campagne référendaire, en collectifs électoraux pour la campagne présidentielle, elle n’a pas donné les résultats attendus. Ces collectifs n’ont pu rassembler et durer, ils ont été souvent marqués par des comportements sectaires, des manifestations d’intolérance, des jeux d’appareils, des confusions intellectuelles.
Résultat : des dizaines de milliers de militants sont écœurés et découragés. Faire de la politique autrement ? La gauche antilibérale ne s’est pas montrée à la hauteur.
La neutralisation d’Attac
Troisième phénomène, la neutralisation d’Attac. L’association, par son travail d’éducation populaire de décryptage de la Constitution européenne et la mobilisation de dizaines de milliers de militants et de centaines de groupes locaux, a joué un rôle considérable dans la victoire du " non ", et probablement même un rôle décisif. Du coup, les dirigeants Attac qui avaient conduit l’association à ce succès, en préservant son indépendance, devenaient des concurrents potentiels pour ceux qui se préparaient de longue date pour les présidentielles, comme pour des organisations qui croyaient que l’association pouvait leur faire de l’ombre.
Les forces les plus improbables se sont donc liguées, à l’intérieur et à l’extérieur d’Attac, avec l’appui inconditionnel de la presse du " oui ", pour éliminer ses dirigeants. Les méthodes les plus abjectes ont été utilisées, couronnées par une fraude électorale. L’objectif a été atteint : Attac est aujourd’hui inoffensive.
Pour un " big-bang " politique
La situation, deux ans après le 29 mai 2005, impose un " big-bang " politique chez toutes les organisations et les militants contestant le libéralisme et souhaitant bâtir un autre monde.
Pour y contribuer, la première chose à faire est d’engager une analyse sans concession de la période qui va du référendum de 2005 jusqu’à l’élection présidentielle de 2007. Cette dernière n’a d’ailleurs pas effacé le référendum de 2005. Ce qui frappe, c’est qu’il y avait du " non " de 2005 dans le discours de campagne de Sarkozy en 2007. Ce dernier a joué un étonnant numéro d’équilibriste où se sont côtoyés un programme marqué par une nette volonté de relance de la révolution conservatrice, et une rhétorique d’estrade dans laquelle tout le monde ou presque pouvait trouver son compte. Son discours a emprunté des mots du vocabulaire communiste, socialiste, gaulliste et même du frontisme, de l’écologisme et de l’altermondialisme.
Au communisme, il a pris les références à la Résistance par sa geste aux Glières, a kidnappé Guy Môquet et organisé une mascarade à la Cascade du Bois de Boulogne.
Au socialisme, il a pris Jaurès et Blum.
Au gaullisme, il a pris l’amour de la France, la patrie et l’ " identité nationale ".
Aux frontisme, il n’a pas pris la " préférence nationale, mais la " préférence européenne ", et lui a donné un ministère dont l’intitulé ressemble au sinistre " Commissariat général aux questions juives " de Vichy, bien que dans le cas présent, toutes proportions gardées, il s’agisse manifestement des Arabes et des Noirs.
A l’écologisme, il a pris la notion de développement durable, et, donnant l’exemple, a montré que l’on pouvait tout recycler ou presque puisqu’un ministère du même nom a été affecté à Alain Juppé !
A l’altermondialisme, il a pris le rejet de la mondialisation face à laquelle il faut se " protéger " et la critique de la Banque centrale européenne.
Un château de carte
La campagne de Sarkozy a été bâtie sur un château de carte. Toutes ces contradictions ne manqueront pas, tôt ou tard, de se manifester, et probablement sous les formes les plus inattendues. D’autant que Sarkozy n’est pas connu pour être un théoricien néolibéral, mais un politicien représentant les intérêts de la très grande bourgeoisie française qui attend de lui qu’il défende leurs intérêts nationaux. C’est en ce sens que la situation créée en France au lendemain de l’élection présidentielle n’est pas si catastrophique que cela. Bien sûr, elle est catastrophique pour les " nano-candidats " qui ont fait moins de 2 %, croyant rassembler sur leurs ego des millions de voix. Mais pour le mouvement profond de la société, un chemin existe pour avancer.
Ce " big-bang " devra frapper le Parti socialiste
Ayant abandonné toute perspective de " changer la vie ", pour reprendre le mot d’ordre de la campagne présidentielle victorieuse de 1981, la majorité des dirigeants du Parti socialiste demeure sur la ligne politique du " tournant de la rigueur " de 1982-1983. Aucun bilan n’a été tiré de cette impuissance nationale théorisée et revendiquée face à l’eurolibéralisme et aux politiques de mondialisation. D’ailleurs, si une " refondation " ou une " rénovation " du PS doit intervenir, c’est bien à la remise en cause de cette ligne qu’elle devra s’attacher, dont on a vu les résultats calamiteux depuis vingt-cinq ans.
La question européenne devra être placée au coeur des débats du PS. Ayant abandonné la perspective historique que donnait le socialisme, aplatit sur le présent et les combinaisons politiciennes et électorales, le PS croyait se remettre dans le feu de l’histoire par l’Europe. L’ " Europe " est ainsi devenue vitale pour le PS car elle lui sert de substitut au socialisme. Mais l’ " Europe ", aujourd’hui, c’est l’eurolibéralisme. Le PS devra clarifier son projet, et pour l’y aider nous serons nombreux à aller à la pèche, le 17 juin, si un candidat PS ayant voté " oui " était présent au second tour dans notre circonscription.
La gauche de la gauche devra lever de nombreux tabous si elle ne veut plus se contenter de faire de la figuration
Ni l’analyse du capitalisme contemporain (la mondialisation), ni l’appréciation du rapport des forces en France, en Europe et dans le monde, ni les propositions de réforme sur des questions fondamentales ne font accord. Ces questions fondamentales portent sur les alternatives à opposer au libre-échange ; les marges de manœuvres réelles d’un gouvernement qui serait " bien intentionné " ; le travail, l’emploi et le chômage ; la laïcité ; les mesures à prendre contre la dictature des marchés financiers…
Ce " big-bang ", enfin, devra porter sur les conceptions de la " construction " européenne. A cet égard, l’impact de la victoire du " non " doit être analysé dans toutes ses implications. La Constitution européenne rassemblait en un seul ensemble qui se voulait cohérent, la totalité des traités antérieurs. En votant " non " à la Constitution, les électrices et les électeurs ont donc également voté " non " à tous les autres traités. Ces derniers se trouvent, de fait, délégitimés. Cette réalité légitime en revanche une remise en cause des principes sur lesquels repose la " construction " européenne.
Une remise à plat totale des fondements, des objectifs et du fonctionnement de l’Union européenne est donc nécessaire. Telle est la perspective enthousiasmante qui s’ouvre aujourd’hui. C’est pourquoi des débats qui n’ont pas encore eu lieu doivent désormais se tenir : faut-il sortir de l’Union européenne ? Faut-il sortir de la zone euro ? Faut-il mener une politique de la " chaise vide ", globale ou sélective ? Faut-il passer outre aux diverses " demandes " de la Commission et aux directives de libéralisation ?
La nouvelle orientation qui se dégage est que l’Union européenne doit avancer à partir de traités internationaux thématiques, à géométrie variable, soumis à référendums dans chaque pays concerné. Ces traités peuvent correspondre à des " coopérations renforcées " entre pays qui le souhaitent et sur des sujets précis. Ils peuvent largement déborder des " frontières " convenues de l’Europe actuelle et concerner des pays d’Afrique ou de l’ancienne URSS. De tels traités devraient porter sur les services publics ; l’emploi ; la protection sociale ; l’environnement ; la coopération internationale ; les taxes globales ; les paradis fiscaux ; la fiscalité ; les délocalisations…
Le fonctionnement de l’Union européenne serait alors profondément modifié. Les commissaires européens deviendraient inutiles et seraient supprimés, comme l’essentiel de l’immense machinerie technocratique bruxelloise. Les différents traités européens seraient gérés chacun par un support technique et administratif léger ; l’ensemble des traités seraient coordonnés par une structure réduite.
Ce " big-bang " politique, de toute manière, était nécessaire. On ne pouvait d’ailleurs peut-être pas rêver de meilleure situation pour le provoquer, car là au moins personne ne peut nier qu’il est nécessaire.
Jacques Nikonoff

Tag(s) : #Europe
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