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Histoire : Henri Martin, militant de la libération humaine

Henri Martin, militant de la libération humaine

Alain Ruscio
Mercredi, 18 Février, 2015
L'Humanité
Portrait d'Henri Martin par Picasso paru dans le numéro spécial de l'Humanité, le jour de sa libération, le 2 août 1953. Comme beaucoup d'autres intellectuels, le peintre s'est engagé contre la condamnation du militant anticolonialiste à cinq années de réclusion.
Henri Martin vient de nous quitter à l’âge de quatre-vingt-huit ans. L’ancien résistant, militant anticolonialiste, emprisonné durant trois ans, aura eu toute sa vie deux engagements inextricablement mêlés dans son esprit : le communisme et la libération des peuples du joug de l’impérialisme.

Né en 1927, maquisard franc-tireur et partisan français (FTPF) à seize ans, communiste à dix-sept, Henri Martin s’était engagé dans la marine en 1945, avec la volonté de poursuivre la lutte antifasciste en Indochine, cette fois contre les Japonais. Mais, entre sa date d’engagement et son arrivée sur place, la situation avait radicalement changé. C’est au Viet-minh, un mouvement qu’il assimile vite aux résistants français, qu’il se heurte. Il demande en vain la résiliation de son contrat. De retour en France, fin 1947, affecté à l’arsenal militaire de Toulon, il mène une lutte politique à l’intérieur de l’armée, forme autour de lui une petite équipe qui partage ses convictions : inscriptions à la peinture et distributions de tracts se succèdent. Dès ce moment, il est en contact (secret) avec le PCF. Le premier tract distribué, en juillet 1949, résume déjà le grand combat de sa vie : « Cette guerre est contraire à la justice. Il faut cesser cette sale guerre injuste du Vietnam. » Les rapports de police notent, dans les mois qui suivent, des distributions à un rythme accéléré. Une enquête est menée, qui aboutit à diverses arrestations, dont celle d’Henri Martin le 14 mars 1950, qui apparaît vite comme le principal animateur du groupe.
Condamné à cinq ans pour une protestation pacifique et politique

Une activité politique au sein d’un espace militaire, a fortiori contre le gouvernement, était strictement interdite. Cette action aurait dû valoir au jeune marin des arrêts de rigueur. Même en cet apogée de la guerre froide, il était difficile, pour l’accusation, de prétendre que la défense nationale avait été mise en péril par quelques milliers de tracts. Une affaire de tentative de sabotage, en fait fomentée par deux autres marins, est alors ajoutée. Le chef d’accusation change : « tentative de détérioration de matériel utilisé pour la défense nationale ». Cette sinistre mise en scène s’effondrera vite. Dès lors, il n’y a plus qu’un procès politique. Mais quel procès ! Qu’on imagine un jeune homme de vingt-trois ans face à l’appareil judiciaire militaire, alors que la France est engagée dans un conflit au bout du monde et qu’un anticommunisme obsessionnel culmine. Mais il tient tête, il réplique, il accuse à son tour. Le verdict, inique, tombe : pour une protestation pacifique, politique, Henri Martin est condamné à cinq ans de réclusion et à la dégradation militaire.

Henri, seul contre tous ? Non. Le PCF se saisit de l’affaire. À l’instigation d’André Marty, une campagne commence. Le tout premier article qui lui est consacré dans l’Humanité a pour titre : « Il a bien agi contre la guerre du Vietnam. Sauvez-le ! » (17 juillet 1950). Le ton était donné : l’« affaire Henri Martin » était une parcelle de la lutte générale pour la paix au Vietnam et l’exigence de la négociation avec Ho Chi Minh (l’action d’Henri fut un temps associée à celle d’une jeune femme communiste, Raymonde Dien, emprisonnée de février à décembre 1950).
« Libérez Henri Martin ! »

Un temps, entre 1950 et 1953, le nom d’Henri Martin fut sur toutes les lèvres. Durant cette période, toutes les formes imaginables de la propagande vont être utilisées, de l’article relatant une toute petite réunion dans un village au numéro spécial de l’hebdomadaire illustré Regards, de la prise de parole à la va-vite dans la cantine de l’usine à l’interminable défilé au stand Henri Martin de la Fête de l’Huma, du porte-à-porte où l’on faisait signer ses voisins de palier, sa concierge, son copain à l’exposition des toiles de Picasso et Fernand Léger, de la chansonnette sans prétention au poème de Paul Éluard… Des banderoles furent déployées à la tour Eiffel, aux Champs-Élysées ou sur le grand pavillon des Halles. Une troupe de comédiens composée de professionnels (Paul Préboist, Charles Denner, René-Louis Laforgue, Jacques Mignot, Raymond Gerbal…) et d’amateurs, les Pavés de Paris, fit une tournée nationale avec une pièce d’agitation politique, Drame à Toulon.

Les souvenirs des militants, aujourd’hui encore, sont tout pleins de récits, parfois épiques, souvent cocasses, d’expéditions, pinceaux à la main, pour faire des inscriptions dans les endroits les plus voyants, parfois les plus invraisemblables, puis des luttes avec la police, qui effaçait ces inscriptions, avant de les voir réapparaître le lendemain…

Certaines personnalités, courageuses car isolées, ont accepté, durant cette ère des grands clivages, de parcourir un bout de chemin avec les communistes, réclamant avec eux la libération du marin emprisonné : Francis Jourdain, Justin Godart, Gérard Philipe, Claude Bourdet, Jean Cocteau, Gilles Martinet, l’abbé Pierre, Joseph Kessel… Mais le nom qui vient surtout à l’esprit est évidemment celui de Jean-Paul Sartre, cheville ouvrière d’un livre de protestation, l’Affaire Henri Martin, ayant comme cosignataires Francis Jeanson, Jacques Madaule, Hervé Bazin, Jean-Marie Domenach, Michel Leiris, Jacques Prévert…
La libération et la poursuite du combat internationaliste

Henri Martin était devenu gênant. Le président Auriol se décida à signer un décret de grâce, deux années avant le terme de sa peine. Le 2 août 1953 au petit matin, Henri Martin franchit le seuil de la prison de Melun, après donc plus de trois années de privation de liberté. Il va alors poursuivre ce combat, jusqu’à la victoire du Vietnam contre le colonialisme français (1954). En 1956, c’est dans une ville de Hanoi libre et indépendante qu’avec Raymonde Dien il est reçu par le président Ho Chi Minh, qui voit en eux ses « neveu » et « nièce » de France. Tant que sa santé le lui permettra, il sera de tous les combats du peuple vietnamien.

Il y a quelques années encore, il était, au Trocadéro, avec Madeleine Riffaud, pour dénoncer les séquelles de l’agent orange dans ce pays ravagé par l’agression américaine. Henri Martin a participé à bien d’autres combats internationalistes. Contre la nouvelle « sale guerre », en Algérie, comme secrétaire général adjoint de la Jeunesse communiste, puis membre du Comité central du PCF. Ce qui lui vaudra des ennuis avec la police, mais pas d’arrestation : le régime avait été échaudé ! En revanche, Henri Martin, privé de ses droits civiques par une justice bourgeoise vengeresse, ne redevint citoyen français… qu’en 1968 ! Homme modeste, ne cherchant pas les tribunes, il fut pourtant un homme clé de l’histoire du communisme français de la seconde moitié du XXe siècle, longtemps chargé, par exemple, des questions de formation politique au sein du PCF. Il faut lire à ce sujet son ouvrage témoignage Quelques souvenirs du siècle passé…, paru en 2009 au Temps des cerises. Dans les dernières années de sa vie, il porta un regard sévère sur les évolutions de son parti. L’ère Robert Hue fut pour lui la plus sinistre, celle des capitulations. Malgré ce qu’il considérait comme un retour vers l’identité communiste, il ne cachait nullement la persistance de ses désaccords, tout en reconnaissant dans ce parti sa famille, son identité, sa vie
http://www.humanite.fr/

Tag(s) : #Histoire
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