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« L'aide au patronat ne créera pas d'emplois »

LE MONDE | 27.08.2014 à 08h54 • Mis à jour le 27.08.2014 à 09h00 | Par Benjamin Coriat (Professeur de sciences économiques à l'université Paris-XIII, cofondateur des Economistes atterrés)

Alors qu'au sommet de l'Etat la crise fait rage, il est sans doute utile de revenir sur certains des fondements des oppositions qui se sont cristallisées ces derniers jours. Une question-clé qui traverse ces oppositions est celle de savoir si le pacte de responsabilité a une chance de réussir. Peut-on faire confiance aux patrons pour, en contrepartie des 41 milliards promis, relancer l'investissement et l'emploi ?

Si l'on se base sur les résultats d'une récente enquête sur la distribution des dividendes, la cause est entendue. L'évidence le clame : le « civisme » économique des patrons est pour le moins sujet à forte caution. Avec l'augmentation de 30,3 % sur un an des rémunérations distribuées aux actionnaires, la France est le pays qui, en Europe, a versé le plus de dividendes, et l'Europe a elle-même été la zone la plus prodigue de la planète.

Dans ce contexte, les exhortations lancées aux patrons par les ministres socialistes, à commencer par le premier d'entre eux, à « investir » pour relancer l'économie, alors que la courbe d'investissement reste plate et même négative (– 0,8 % au deuxième trimestre), ont quelque chose de pathétique…

L'EMPLOI ET L'INVESTISSEMENT, DES VARIABLES D'AJUSTEMENT

Tout laisse à penser que cette supplique ne changera rien. Les niveaux actuels de distribution de dividendes ne font que renouer avec des niveaux déjà connus par le passé. Dans les grandes entreprises, à commencer par celles du CAC 40, les patrons, leurs actionnaires, n'en sont pas à leur coup d'essai. Pour ce qui est des PME, bien moins florissantes, les exhortations gouvernementales n'auront pas plus d'effet. La part de la manne qui leur revient, souvent très faible, n'est pas à même de leur permettre d'investir.

Les raisons de cette situation sont multiples. La principale est que, dans une économie dominée par la finance, tout se passe comme si nous avions basculé dans une économie de « dividendes minimum garantis » où l'emploi et l'investissement jouent le rôle de variables d'ajustement. Au théorème Barre-Schmitt d'antan, « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain qui sont les emplois d'après-demain », s'est substituée la nouvelle loi de la finance selon laquelle « les licenciements d'aujourd'hui sont les profits de demain et les dividendes d'après-demain ».

Quant aux banquiers supposés financer l'investissement, pourquoi ne participeraient-ils pas à la fête ? Lorsque les taux de rémunération du capital placé sur les marchés financiers atteignent les niveaux d'aujourd'hui, pourquoi prêteraient-ils aux entreprises qui ont besoin de liquidités ? Quel banquier choisira une rentabilité du capital de plusieurs points inférieure à celle que lui procurent ses placements financiers ?

« BON VOULOIR DES PATRONS »

Alors faut-il incriminer les patrons ? Oui, sans aucun doute. L'indécence dont ils font montre atteint aujourd'hui des sommets. Mais il faut aller au-delà. Et poser la vraie question : que faut-il penser d'une politique économique dont l'axe central repose sur des transferts unilatéraux de ressources aux entreprises, une politique qui en saignant le pays à coups de coupes budgétaires s'en remet, pour ce qui est de l'emploi, au « bon vouloir des patrons » ? Là est l'erreur majeure. Dans une économie financiarisée, il n'y a pas à attendre des patrons un autre rôle que celui pour lequel ils ont été placés à la tête des entreprises par les actionnaires : dégager des profits et les « rendre » sous la forme de dividendes.

Dans un tel contexte, la seule politique économique dotée d'une chance de succès est celle qui, au contraire de celle promue aujourd'hui, créerait les conditions d'une relance de l'investissement en articulant une politique de la demande et une politique de l'offre basée sur des investissements publics. Seule une telle politique est aujourd'hui à même de relancer l'emploi en offrant aux entreprises ces débouchés que des années d'austérité ont fortement réduits. Pour une majorité de patrons, le non-investissement s'explique d'abord par l'insuffisance de la demande. Les carnets de commandes sont désespérément vides. Et ce n'est pas un mieux de trésorerie qui se traduira par une reprise.

Précisons encore, car ce point n'est pas mineur, que la politique de relance de l'investissement public, que nous appelons de nos vœux pourvu qu'elle soit appliquée à la transition écologique, permettrait de surcroît de garantir l'avenir en faisant face à la fois à la crise économique et à la crise écologique.

Oui, il y a un cynisme insupportable des patrons qui, sans vergogne, se distribuent la valeur ajoutée, plutôt que d'investir. Mais il y a aussi une politique économique totalement aveugle aux réalités qui met notre avenir entre les mains de la finance.

Lire aussi le point de vue de Elie Cohen, économiste et directeur de recherche au CNRS : La gauche « dépensophile » ruine notre compétitivité

Tag(s) : #Economie
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