Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Amertume et colère au siège de la division transports d’Alstom à Saint Ouen.

Rencontre avec les salariés mobilisés pour la défense de leur entreprise
Eugénie Barbezat
Mardi, 29 Avril, 2014

La CGT, qui a décidé de se retirer de la réunion du CCE du 29 avril concernant la suppression des 182 emplois d'Oméga, tant qu'aucune décision ne sera prise au niveau du groupe Alstom pour l'avenir de la branche transports, appelait à un rassemblement à 9h ce mardi devant le siège de Saint Ouen (93). Reportage.

Au 48 de la rue Albert Dhalenne à Saint Ouen, la presse est bien au rendez vous, fixé à 9h ce mardi 29 avril par les représentants de la CGT qui ont prévu un rassemblement devant le siège de la division transports d’Alstom à Saint Ouen.

Pour l’occasion, les grilles sont closes et l’accès à l’enceinte de l’entreprise est restreint par deux gardiens à l’imposante carrure qui font entrer au compte-goutte les salariés qui arrivent au travail.

Devant la porte d’entrée du grand immeuble de bureaux où travaillent 2 800 salariés, principalement des cadres, des ingénieurs et des techniciens hautement qualifiés, on aperçoit un groupe de manifestants au dessus duquel flottent des drapeaux de la CGT brandissant des pancartes sur lesquels les journalistes, qui n’ont pas le droit de pénétrer dans l’enceinte de l’entreprise, peuvent lire « Non aux suppressions d'emploi. », « Non au démantèlement du groupe Alstom ! », « Maintien de tous les postes! » tandis qu’à travers les grilles Christian Garnier, le représentant syndical central au CGT, élu au CE d’Alstom St Ouen nous tendait des tracts appelant l’Etat français à «prendre ses responsabilités dans cette affaire en entrant majoritairement dans le capital. »

Christian Garnier au micro de l'Humanite.fr :

00:00:00

NaN:NaN

« Cette entreprise citoyenne empêche la presse de s’approcher de ses locaux et de parler à ses salariés. », commente ironiquement le syndicaliste en rejoignant les journalistes sur le trottoir où, la voix chargée d’amertume, il fait un rapide point sur la situation. Cela passe par un rappel de l’histoire de cette entreprise emblématique : « L’usine de St Ouen date de 1928. Ici il y a eu beaucoup de production. Des têtes d’attelages de TGV, des circuits de voix des matériels de signalisation. L’outil industriel a été progressivement cassé depuis le milieu des années 1990, aujourd’hui, un peu moins de 3000 salariés restent sur le site, et ce sont eux que l’on veut liquider ! »

182 licenciements sont effectivement annoncés à St Ouen, soit 20% des effectifs du siège. « Cela ne se justifie pas quand on sait que la branche transport a cinq années de travail assurées devant elle avec des carnets de commandes pleins. Cela représente un chiffre d’affaire de 53 milliard d’euros, dont 50% d’argent public car nos clients sont l’Etat, la RATP la SNCF, EDF », précise Christian Garnier qui explique ainsi le « sentiment d’amertume qui domine chez les salariés viennent de se rendre compte qu’ils ne sont que des variables d’ajustement. »

C’est ce que confirment les derniers évènement en date que nous rapporte le délégué syndical : « Il y a environs un mois, la direction du groupe nous a expliqué que pour renflouer les caisses et payer les actionnaires, ils voulaient extraire la branche transport du groupe, en faire une entité juridique autonome pour l’introduire en bourse, puis en vendre tout de suite 30% du capital, pour avoir du cash. Ils ont voulu pour que cette opération réussisse faire quelques licenciements « cosmétiques » au préalable afin de baisser les coûts de cette branche en l’allégeant en personnel. Or, aujourd’hui comme il n’est plus question de se séparer de la branche transport, cet argument tombe et il n’y a plus aucune raison de maintenir ce plan de licenciements. A la CGT, nous refusons donc de négocier quoi que ce soit dans un contexte aussi incertain et flou, alors que le groupe est en train d’exploser. »

Olivier Casa, élu au comité central CGT et salarié d’Alstom sur le site de Valenciennes-Petite-forêt qui est venu soutenir ses camarades audoniens ne cache pas sa colère « face à une direction qui est prête à brader un fleuron de l’industrie française pour permettre à M. Bouygues de faire un coup financier ! Depuis 2003, on a une direction qui a fait n’importe quoi, qui a acheté tous azimuts, y compris des entreprises qui ne fabriquent rien. Cette mauvaise gestion du groupe n’est pas due aux salariés. C’est la faute des incompétents qui dirigent l’entreprise, ce sont eux qui doivent partir ! »

Olivier Casa au micro de l'Humanite.fr :

00:00:00

NaN:NaN

{C}

Leurs revendications sont simples : « On veut être reçus, nous aussi par des représentants de l’Etat pour parler, non pas de finance, mais de l’avenir de nos emplois et du fleuron de la technologie française. Pour l’instant nous sommes complètement exclus des négociations qui vont impacter nos vies ! »

On ressent également un attachement très fort au savoir-faire de l’entreprise dont le nordiste regrette qu’elle ait perdu son âme : « On veut que nos métiers restent en France ! L’Etat doit prendre ses responsabilités en nationalisant. Il faut mettre les gangsters de notre direction hors d’état de nuire ! Cela permettrait aux salariés de continuer à produire et à développer le pole d’excellence de la France en termes de transport et d’énergie, dans des conditions sereines. On ne peut pas donne 1,5 milliard aux actionnaires en 4 ans et nous dire aujourd’hui « Vous dégagez ! » C’est inadmissible de vivre des choses pareilles. »

Un point de vue partagé par Paulette Fost, la maire honoraire de St Ouen, venue elle aussi en soutien. « Une nationalisation, ce serait simplement un juste retour des choses. Il faut expliquer aux gens que c’est déjà de l’argent public qui finance en grande partie Alstom, il serait donc logique et normal que l’Etat ait le contrôle de cette entreprise stratégique. Ce serait aussi l’occasion de donner une raison d’être à la banque publique d’Investissement, dont on verrait enfin à quoi elle sert ! »

Paulette Fost au micro de l'Humanite.fr :

00:00:00

NaN:NaN

Malika Ammar, ingénieur qualité chez Alstom depuis 24 ans dans l’entreprise, élue au CHS-CT nous rejoint, elle décrit avec émotion son métier : « Modestement je concoure au bon fonctionnement de la circulation ferroviaire et à la sécurité des passagers… », mais elle tient surtout à nous faire part de sa déception face à la faible mobilisation des salariés du siège de St Ouen. « J’ai l’impression que les cadres qui travaillent ici ne prennent pas la mesure de la situation de l’entreprise. Sur les sites de Belfort ou du Creusot, c’est différent car beaucoup d’ouvrier y travaillent encore. Depuis des années, avec l’externalisation d’un grand nombre de secteurs de production, tout a été fait pour nous diviser. Il ne faut pas les laisser nous porter le coup fatal ! L’opposition cadres/ouvriers reste dans les mentalités alors qu’elle n’a plus de sens aujourd’hui au sein de notre entreprise. »

« Quand on fait une alerte incendie, on est tous dehors, on a 3300 salariés qui se retrouvent en bas de nos bâtiments et on prend la mesure du nombre de personnes que cela représente. Il faut être conscient de nombre et de notre force potentielle pour créer un réel contre pouvoir », conclue cette femme engagée qui refuse de perdre espoir et n’est pas prête à baisser les bras.

Elle peut s’appuyer sur Jean-Pierre Monneret, technicien de prévention, délégué syndical CGT, technicien de prévention depuis 1977 sur ce site. Le militant dont l’engagement syndical date de son entrée à l’usine confirme : «Cela fait des années que l’ont subit des pertes d’emploi. Avant ici, il y avait plus de 1000 ouvriers. Aujourd’hui, il n’y a plus que des cadres et des techniciens qui ne sont moins coutumiers des luttes qu’ont pu l’être ceux qui se sont battu contre la perte des emplois industriels et les externalisations entre 1995 et 1998. » Il regrette aussi l’absence d’adhésion au mouvement de certaines organisations syndicales comme la CFDT, CGC : « il n’y a que la CGT et FO qui sont mobilisés aujourd’hui », soupire-t-il.

Quant à André Lévitte, représentant syndical au CHS-CT, il est aussi tenaillé entre la colère, le dépit et l’émotion : « J’ai 38 ans d’ancienneté dans la boîte et je travaille depuis 25 ans à St Ouen. Pour moi, le ferroviaire, c’est un peu une tradition familiale : je suis fils, petit fis et arrière petit fils de cheminot. » Mais il tient absolument à dépasser son cas personnel : « Au-delà de la défense de mon emploi, derrière la lutte de ce matin, il y a un enjeu de société. En ce qui concerne l’environnement, le train, c’est très important. On en parle peu, mais il y a le marché des trains régionaux qui est en plein essor, il faut que nous nous positionnions à ce niveau là ! »

En quittant le site, on se dit qu’avec des ouvriers si conscients des enjeux de leur travail, si impliqué, responsables et attentifs à l’avenir à long terme, on pourrait leur laisser les clés de l’entreprise en toute confiance et se passer sans regrets ceux qui prétendent aujourd’hui en assurer la direction !

Eugénie Barbezat

Bonus !

Extrait du film Le dos au mur de Jean-Pierre Thorn, qui retrace six semaines de grève avec les travailleurs d'Alsthom à St-Ouen en 1980.

Cinéaste et militant, Jean-Pierre Thorn renonce au cinéma après 68 pour entrer à l’usine Alsthom de Saint-Ouen, comme ouvrier spécialisé. C’est un "établi", c’est-à-dire un de ces intellectuels qui rejoignent les usines, "établis" au cœur de la classe ouvrière. Il quitte l’usine en 1978 pour y revenir un an plus tard filmer la grève et l’occupation, et donner la parole aux ouvriers. Le temps du film suit le temps de la grève. C’est une "épopée ouvrière" avec les joies, les déceptions, les solidarités et les trahisons propres à la lutte.

« Le Dos au mur, écrit Jean-Pierre Thorn lors de sa sortie en salles en mai 81, c’est avant tout cela : l’aboutissement d’une double expérience à la fois ouvrière et cinématographique. »

Plus qu’un manifeste, Le Dos au mur est surtout une œuvre cinématographique subtilement conçue, un grand film documentaire sur une lutte ouvrière qui apparaît aujourd’hui comme un formidable document sur la fin des années 70 et ce qu’elles portèrent comme utopies, conquêtes et désillusions.

Colère à la division transports d’Alstom à Saint Ouen
Tag(s) : #Economie
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :